Rencontre avec Arthur Ely : « Il faut de la banalité pour que quelque chose sorte de l’ordinaire. »

Après deux premiers projets parus en 2018 et 2019, Arthur Ely revient avec un nouvel EP « Hello ». Le jeune artiste y mêle les problèmes du quotidien, la banalité de la vie et les problèmes majeurs de son époque qui fonctionnent dans une parfaite cohérence. Nous en avons discuté il y a quelques jours : 

 

Bonjour Arthur, tu viens de sortir ton nouvel EP « Hello », peux-tu te présenter aux lecteurs d’Hier Soir à Paris ?

Je m’appelle Arthur Ely, c’est mon nom de scène et mon nom de la vie de tous les jours. J’écris des chansons, je fais des poèmes et j’essaie d’être un gars bien. 

Comment as-tu commencé la musique ? 

J’ai commencé la musique à mes 17 ans. Avant, j’avais fait énormément de sport, je faisais du tennis en sport étude, je ne faisais que ça, puis je me suis blessé, j’ai dû arrêter, j’étais un peu perdu à l’adolescence et je suis tombé sur une guitare qui traînait chez moi, car mon père en avait fait plus jeune. C’est aussi grâce à une rencontre, qui est devenue mon meilleur pote, avec qui j’ai commencé à écrire des chansons.

C’est finalement assez tard, 17 ans ?

Oui, c’est vrai, j’ai d’autres potes musiciens qui ont été au conservatoire, qui ont commencé petits et moi, c’est arrivé à la toute fin d’adolescence. Par contre, ça m’a de suite obsédé, je ne pensais qu’à ça, je n’allais plus trop en cours … Assez vite, j’ai compris que c’est ce que je voulais faire dans ma vie et ça a pris une grosse place rapidement. 

L’écriture et le chant sont donc arrivés plus tard ? 

Dès que j’ai pu, j’ai commencé à écrire des sons, je ne faisais pas trop de reprises. Sans savoir bien jouer ou écrire, je faisais les choses même si ce n’était pas très bien. Au début, j’ai joué avec des groupes les deux premières années puis en arrivant à Paris, j’ai commencé à jouer seul dans les bars et à chanter. Le côté guitare/voix/écriture a pris plus d’importance, j’ai commencé à travailler ma voix, à prendre confiance puis la nouvelle bande étape ça a été de commencer à produire mes musiques sur ordinateur. J’écoutais beaucoup de rap donc les prods y touchaient beaucoup, de même pour l’écriture puis tout ça a avancé. 

Le rap fait donc partie de tes influences musicales, quelles sont les autres ? 

Mon père écoutait beaucoup de musique, pas mal de pop des années 60-70 comme les Beatles ou des années 80, Genesis par exemple. Il écoutait aussi pas mal de jazz, assez moderne, du jazz-fusion. Il achetait aussi beaucoup d’albums de ce qui sortait, il m’a ainsi fait découvrir Phoenix. 

Moi, plus tard, j’ai écouté du rap, de la musique électronique et de la chanson française que j’ai découvert seul, plus tard. 

C’est donc ensuite en arrivant à Paris que tu as produit tes deux premiers projets, EP STANDARD puis En 3 lettres et aujourd’hui Hello que s’est-il passé entre les trois ? 

Oui, il y a eu un premier EP, puis un album mixtape avec 3 EPs compilés en un, puis il y a eu le COVID et aujourd’hui Hello, le retour afin de redire bonjour aux gens qui m’écoutent après deux ans sans avoir sorti de chansons. 

As-tu cherché un lien de continuité entre ces trois projets ou sont-ils indépendants ? 

Ils ne sont pas indépendants, mais je ne cherche pas un concept précis quand je cherche à écrire des chansons, il y a plutôt une continuité, car dans la manière où je compose, où j’écris il y a un lien. Je remarque toutefois que ces nouvelles chansons sont tout de même assez différentes, il y a quelque chose de plus pop, moins d’influence rap. Je suis beaucoup revenu au guitare-voix, à la source de ce que je fais. 

La tournée pirate (s’installer dans l’espace public pour un concert) a peut-être eu une influence là-dessus ? 

Ouais, carrément, c’était le but. C’était un moment où avec le COVID, on ne s’avait pas comment aller voir les gens en tant qu’artistes donc on a décidé de ne pas attendre, prendre une voiture et demander aux gens où s’installer via les réseaux sociaux. Ça avait beaucoup de sens pour moi de retrouver les gens après qu’on ait tous été enfermés pendant le confinement, et musicalement, je revenais à la base de ce que je fais : prendre ma guitare et raconter les histoires que j’avais envie de raconter. Ça a eu un vrai impact sur la façon dont j’ai travaillé ces chansons. 

Et donc Hello pour redire bonjour aux gens ? 

Oui, il y avait ce jeu de mot pour dire bonjour après avoir été silencieux, mais aussi le fait que ça soit un mot très ordinaire, qu’on dit un peu tous les jours dans les mails, les messages, il n’a pas trop de personnalité. Ça allait avec les chansons qui sont sur ce projet : accepter la normalité, l’ordinaire. Pour avoir une super journée, il faut passer par 30 jours moyens et banals et il faut accepter ça, c’est normal. Ça me plaisait donc d’avoir un mot de tous les jours, simples et l’accepter totalement. 

 

Il faut de la banalité pour que quelque chose sorte de l’ordinaire.

 

Il faut du contraste pour voir les choses ? 

Oui, totalement, il faut de la banalité pour que quelque chose sorte de l’ordinaire. Si tout était ouf rien ne serait ouf. Un philosophe disait que si trois jours de suite, tu es heureux, le quatrième, tu ne le remarqueras même pas, tu seras dans un état normal. En-dehors de cela, j’ai remarqué quelque chose en grandissant : à l’adolescence, on pensait qu’on allait changer le monde, ça permet d’affronter le monde des adultes, et plus tu avances plus tu constates que ce n’est pas le cas. Il y a une acceptation nécessaire de l’ordinaire, du banal pour s’accepter soi-même, être heureux et peut-être après faire des choses extraordinaires. Si tu n’es pas capable de regarder la vérité dans la glace, tu ne pourras jamais changer quelque chose. 

Finalement ce passage à l’âge adulte est une sorte de continuité ? 

Oui, totalement, il y a un décalage entre ce qu’on se dit de la vie et ce qui se passe en grandissant. Les choses sont progressives et ça peut être perturbant, ça donne parfois l’impression de stagner. 

 

Il y a une prise de conscience généralisée.

 

Dans le premier single, Carte jeune, tu parles justement de ce processus de questionnements, de changements, de difficultés liés au passage à l’âge adulte ? Ça fait partie de ce processus d’acceptation ? 

Oui, ça rejoint les journées ordinaires dont on parlait, les galères du quotidien et aussi les grands enjeux du monde que notre génération vit actuellement. On est dans une période un peu historique avec ses enjeux climatiques, sanitaires, politiques sociaux … Ça me plaisait de lier ces deux sujets, car pour moi, on ne peut pas avoir d’impact dans le monde, on ne peut pas se lier à des grands mouvements mondiaux si avant tout, on n’arrive pas à faire un ménage chez soi, intime. Pour moi, on ne peut pas se sentir bien dans le monde sans passer par l’intimité qui passe par le fait d’accepter l’ordinaire, le fait qu’on n’est pas des héros, que tous les jours ne sont pas extraordinaires. C’est seulement si on accepte tout ça qu’un jour peut-être, on pourra faire des grandes choses, et peut-être être un héros (rires). Il faut continuer d’y croire.

Face à cette crise généralisée, comment arrive-t-on à se forger en tant qu’adulte ? 

Il y a autant de façons de le faire que d’individus selon d’où tu viens, ta famille, ton milieu social, un milieu politisé ou non. Mais notre génération a ce truc particulier où on admet tous qu’on est face à quelque chose de global. Chacun va être confronté différemment mais on est face à à des phénomènes qui touchent tous les gens sur Terre tout de même. On comprend que pour avoir un impact, il faudrait que tout le monde se mette ensemble et ça, c’est quelque chose de nouveau. Ça entraîne la génération a se repolitiser, contrairement à ce qu’on pouvait entendre dans les années 90 avec la fin de la Guerre Froide, où tout allait rouler, qu’on allait avoir plus d’argent, etc. Beaucoup de choses changent et il y a une prise de conscience généralisée.

Dans tes différentes chansons, on retrouve justement le fait qu’on aurait qu’une petite place d’individu dont tu te fais porte-parole, au milieu d’une société plus grande. 

Je ne sais pas si je me fais porte-parole, mais quand j’écris, j’essaye de pouvoir assumer les choses franchement, que les jeunes vivent avec des loyers élevés, des apparts tous petits, des désillusions. Ça me plaît de pouvoir parler de tout ça sans enjoliver tout en pouvant en rire aussi. Il y a quelque chose de sûrement un peu générationnel dans tout ça. Dans Carte jeune, je rigole justement de ça, d’une vérité qui fait qu’à partir d’un certain âge, tu n’en as plus et tu te retrouves confronté à cette difficulté, c’est un marqueur social. L’autre chose qui m’a intéressé, c’était de pouvoir parler pour mes amis, mes proches, les gens autour de moi, qui n’arrivent pas à se construire comme jeunes adultes et n’arrivent pas à accepter la réalité du monde. J’ai vu plusieurs personnes sombrer, pour des histoires sentimentales ou le coup que ça met de devenir adulte … J’ai pensé à tout ça et j’essaye de rejoindre ce message d’acceptation dont on parlait pour leur dire que tout ça « ce n’est pas grave ». 

Il y a quelque chose de bénéfique pour toi à placer des mots sur tout ça ? 

Je me rends compte des choses que j’écris assez tardivement. Je n’ai pas assez de recul quand j’écris. C’est après que je me rends compte de la globalité du thème de ce que j’ai écrit. De fait, il n’y a pas cette guérison d’un mal-être quand j’écris, parfois, je suis trop heureux en terminant mes lignes et finalement je ne vous rien en faire, et d’autres où je suis en grande souffrance, je trouve ça nul et finalement ça fera une bonne chanson. Je ne me fie plus à mes émotions (rires). Le travail bien fait me conforte toutefois sur ce que je fais sur cette planète et ça me rend heureux à plus moyen terme. 

Hello, titre éponyme à l’album est un titre d’acceptation, de soi, du monde, mais aussi justement qu’il y a des choses qu’on peut changer, qui sont à notre portée, et d’autres dont nous ne sommes pas maîtres ? 

C’est tout l’enjeu des gros débats sur la conscience climatique aujourd’hui : des choses doivent se faire à l’échelle globale, on parle de planification, etc. Ce qu’on peut faire à notre échelle, c’est être cohérent : on ne peut rallier des gens si on n’est pas cohérent entre ce qu’on dit et ce qu’on fait. Il y a un lien entre les choses concrètes qui changent le monde et ce qu’on fait à notre échelle. 

On retrouve aussi cela dans « La plupart du temps », autre titre de l’EP, qui suit finalement cette idée qu’il est déjà bien de faire changer les choses à notre portée ? C’est ce que tu cherches à partager ? 

Carrément, je répète « j’ai fait tout ce que j’ai pu » dans cette chanson. Finalement se dire ça, c’est déjà une bonne première étape. L’impact qu’on a dans le monde touche tous les gens qu’on croise, les lieux qu’on visite, la manière dont on va être avec ses amis, dans sa vie sentimentale, la question écologique … Il faut faire du mieux qu’on peut de tous les côtés pour faire mieux. 

 

C’est intéressant de penser la singularité tout en sachant que ce qu’on fait est quelque chose d’ordinaire.

 

On retrouve dans tout ça cette notion de collectivité, de norme, on essaye tous de se démarquer, mais finalement on fait tous partie d’un même groupe ?

Oui, j’ai grandi avec cette idée qu’il fallait être hors des cases, et je pense que c’est important de s’extraire des discours, mais il faut allier les deux. Ce n’est pas parce qu’on cherche à être différent qu’on l’est, c’est en s’acceptant comme on est qu’on peut ensuite amener quelque chose de différent. C’est intéressant de penser la singularité tout en sachant que ce qu’on fait est quelque chose d’ordinaire. 

Pourquoi et À nous closent cet EP, un titre où tu te poses des questions et un autre où tu souhaites avancer dans cette vie d’adulte, est-ce celle-ci qui va répondre à tes questions ? Ou penses-tu qu’il faut les conserver pour avancer et se construire ? 

Toute la vie des questions ! C’est bien d’avoir certains moments où on ne se pose plus de questions et on agit, mais ça doit fonctionner par cycles. Quand j’étais plus jeune, j’imaginais de longues constructions, des changements progressifs pour trouver la sagesse en accumulant des ressources ; maintenant, je vois la vie comme une montagne russe, avec de moments de table rase, des prises de conscience, de la confiance, des pertes … On engrange sûrement des choses mais il faut toujours se reposer des questions, se prendre des murs, avancer et recommencer. 

As-tu une chanson coup de coeur sur ton EP ou une avec une histoire particulière que tu souhaiterais nous raconter ? 

J’ai toujours beaucoup aimé Carte jeune, mais ce n’est pas la plus simple à expliquer. J’étais heureux de faire une chanson qui aborde beaucoup de thèmes : les refus qu’on se prend, ou qu’on se met pour s’affirmer. La chanson avance avec ma vie au fil des couplets : au début, je parle de ma vie en collectif, communauté, puis de ma vie de couple et à la fin de la vie seule, solitaire. C’est l’un de mes premiers textes construit ainsi, en cathédrale, avec les refrains qui évoluent sur les couplets, j’en suis content. J’aime aussi son souffle, j’ai l’impression que c’est une course. 

Tu as souvent des paroles ou des thèmes un peu durs dans tes chansons, mais des sonorités plus joyeuses et entrainantes ? 

Dans l’écriture aussi, j’aime casser le direct avec des allusions plus drôles ou légères. Je recherche un équilibre pour pouvoir assumer les choses à dire et ne même temps en faire quelque chose qui allège. On a vite fait de se prendre dans des choses tristes, la musique triste est géniale, mais on peut s’enfermer vite dans PNL, Barbara … et quand on écrit, c’est pareil, on peut se complaire dans la tristesse. 

J’imagine que tu prépares un album la suite de cet EP, que souhaites-tu y intégrer ? Souhaites-tu poursuivre dans les textes et la musique ce qu’on retrouve dans l’EP ? 

L’album va être dans la continuité des chansons qui sont sorties, les thèmes, les sonorités. Il devrait sortir vers la fin d’année ou début 2024. 

J’ai aussi une tournée de prévu avec pas mal de dates, je vais conserver les deux micros que j’avais sur les dates précédentes : un pour les guitare/voix et un pour des sonorités plus modernes avec beaucoup d’effets dans lequel je crie, je chante en impro. Je vais sûrement conserver de faire quelques dates pirates si j’ai le temps. Le concept m’a beaucoup plu.