Rencontre avec Pierō : « Le sentimentalisme n’est pas forcément synonyme de sentiment. »

À l’occasion de la sortie de son premier EP, Yolo, nous avons eu l’occasion de rencontrer Pierō quelques jours après sa première partie du concert de November Ultra à la Cigale. Le membre du groupe Catastrophe se lance aujourd’hui en solo, un projet rondement mené entre humour, mélancolie et poésie. 

Bonjour Pierō, tout d’abord peux-tu te présenter ? Qui est Pierō ? 

Je suis donc Pierō, je pratique la musique tous les jours et c’est ce que je préfère faire. La musique me sert de refuge, voilà comment je pourrais me présenter.

Il peut y avoir de très mauvais artistes avec de très beaux noms et de très beaux artistes, mais avec des noms qui ne sont pas forcément fous.

Pourquoi choisir d’avoir un nom de scène et non porter ton nom ? 

Afin de pouvoir me créer une distance avec mon identité, avoir plus de liberté sur ce que je fais en me voyant comme un projet hors de moi et ainsi l’aborder avec plus de sérénité et moins d’affects comme si je sculptais un objet qui m’était étranger. J’essaye de raconter une histoire à travers Pierō qui se détache de moi afin de mieux manipuler ce pantin. Je suis un peu comme un marionétise.

Pourquoi ce nom Pierō, qui rappelle le clown blanc triste ? 

Je pense qu’inconsciemment ça faisait référence au clown blanc, car la figure m’intéresse, mais ce n’était pas conscient. En vérité, il n’y a pas de vraie raison, ça aurait pu être autre chose. Je m’appelle Pierre et c’est ainsi venu. Dans les noms d’artistes, il peut y avoir de très mauvais artistes avec de très beaux noms et de très beaux artistes, mais avec des noms qui ne sont pas forcément fous. Par exemple, Les Beatles (beetles) ça signifie « les scarabées ». Un nom dépend de ce qu’on en fait et de ce que ça devient ensuite. Le temps et le travail font des choses intéressantes.

Pourquoi rajouter ce trait sur ō ? 

Ce trait s’appelle un Macron, le saviez-vous ? J’ai découvert ça récemment. La barre est aussi en japonais un signe identifié et je vois comme une source d’inspiration la musique japonaise. Aussi, il y avait un équilibre entre le cercle et la ligne horizontale au-dessus, ça créé un écho que j’apprécie entre les deux formes, entre la rondeur et la raideur.

Comment décriais-tu le personnage qu’est Pierō ? 

C’est une sorte de mélange du clown blanc dont tu parlais tout à l’heure, de Klaus Nomi et de mime Marceau aussi. C’est un personnage qui est appelé à se métamorphoser et qui est ouvert à de nouveaux visages dans l’avenir.

Tu as d’abord composé avec le groupe Catastrophe, quelles différences as-tu retrouvées entre le fait de travailler pour soi et pour un groupe ? 

Travailler pour soi est un exercice solitaire, dans lequel on peut avoir tout le contrôle, on peut aller jusqu’au bout de ce qu’on a en tête avec une précision presque chirurgicale. Le groupe permet de travailler dans la joie, l’innocence et permet de faire naître des choses imprévues, mais avec une d’imprécisions. Chaque médaille a son revers.

Ça engage aussi à plus de vulnérabilité de se présenter seul ? 

Oui, surtout sur scène. Se retrouver seul, c’est un moment assez vertigineux, ça engage forcément plus de vulnérabilité, mais aussi plus de détermination. Ça demande plus de courage.

Comment t’es-tu lancé en solo ? 

Ça vient d’un besoin intérieur d’exprimer certaines choses. C’est comme une fleur qu’on aurait à l’intérieur de soi : si on la laisse pourrir ça peut créer de l’amertume, de la frustration et l’impression d’avoir abandonné quelque chose. De fait, j’essaye de produire des choses en mon nom, pour ne pas avoir la sensation à la fin de ma vie d’avoir laissé des choses qui auraient pu se diffuser dans le monde.

Nous t’avons vu il y a quelques semaines sur scène, en première partie de November Ultra, tristesse et humour semblent se lier dans ce personnage de Pierō, c’est ce que tu recherches ? 

Antoine Henault

Oui, je trouve ça bien d’avoir le contre-poids de l’humour, car ça permet paradoxalement de libérer des émotions. On s’autorise plus à être émus après une petite blague. Le sentimentalisme n’est pas forcément synonyme de sentiment, au sens où ce n’est pas parce qu’on a l’air grave ou affecté que les gens vont l’être. C’est une ruse pour désarmer le public et leur permettre de s’autoriser à être ému.

J’ai vu que tu avais passé plusieurs années en conservatoire, cela t’a-t-il aidé à créer ce personnage ? 

Oui, je pense que ça a joué. Je pense que c’est durant ces années que j’ai créé la part théâtrale qu’il y a dans tout ce que je fais. C’est une partie de moi que j’ai sans doute refouler pour me concentrer sur la musique, mais elle revient et je la laisse faire.

Tu nous présentes, Yolo, ton premier EP, comment s’est passée sa préparation ? 

J’ai d’abord passé un long temps de maturation avant de me lancer dans le projet. C’est une période où les choses se décomptent, se mettent en place, je rassemble des inspirations, des fragments de musique que je compose. Tout ça va s’amalgamer autour d’un processus assez organisé, comme une grande bouillabaisse. Je mets tout ce que j’aime dans cette grande marmite, puis je tourne cette soupe jusqu’à ce qu’elle se solide et devienne un projet.

Tu es parti à Fécamp pour travailler ce projet, pourquoi ? 

Fécamp a déjà une très belle plage de galets, et c’est l’une des seules villes où il y a la mer et où on peut aller en train (rires). C’est tout bête. J’avais aussi quelques souvenirs là-bas.

Tu avais besoin de la mer pour travailler cet EP ? 

Oui, de calme surtout.

Le titre Yolo, traduction de « on ne vit qu’une fois », nous renvoie vers ta manière de voir et saisir la vie ? 

Non, après avoir fait tout ce processus de référencement, ce projet est arrivé et en me retournant sur lui, j’ai vu que la fuite du temps était l’un des thèmes récurent de l’EP. C’est à ce moment-là que je me suis dit que Yolo était bien, aussi avec la récurrence du O. Le mot est assez visuel, j’aime bien cela.

Tu as proposé de découvrir ton EP avec un album-visuel sur Youtube, d’où est venue cette idée ? 

C’est venu après avoir fait tous les clips. On s’est rendu compte qu’on pouvait en faire une vidéo complète en les mettant les uns après les autres, comme un petit thaler de marionnettes où l’internaute pouvait se perdre et traverser ces 5 chansons dans ce cube blanc. C’était important d’avoir un équivalent visuel, on écoute aussi avec les yeux. Tout l’aspect visuel est très important dans le cerveau.

Doutes de tout est l’un des singles de l’EP, il nous rappelle nos continuelles incertitudes, nos réflexions au point d’en perdre la raison, que souhaitais-tu exprimer par ce rappel ? 

Je me suis laissé guider par les sonorités, j’aimais cette sorte de chiasme qu’on entendait avec cette expression « dou-te de tout », cet écho de sonorités. Je suis parti de cela puis j’ai remonté le fil de la pelote de laine pour extraire la suite de la chanson. Je ne cherchais pas une intension ou un message à exprimer au début, je me suis laissé guider par le son d’abord avant le sens.

Tu écris ou tu composes d’abord ? 

En général, je fais d’abord la musique puis j’écris.

Visages (ce qui me manque) est une chanson écrite pendant le confinement, comment as-tu vécu cette période ? 

Très mal, c’était l’une des pires périodes de ma vie. Ça m’a prouvé que ma vie normale était la bonne, car lorsqu’elle a été perturbée dans son équilibre, j’étais malheureux. Ça avait un côté rassurant aussi.

Tu as donc ressenti le besoin d’écrire dessus à ce moment-là ? 

Oui, j’ai fait beaucoup de musique durant cette période. Ça s’y prêtait.

5h17 est une chanson qui nous parle de la vision d’un couple d’amour visible l’espace d’un instant. Peux-tu nous raconter ce moment ? 

À travers une vitre, quelqu’un voit deux amoureux sur une trottinette qui passe. Je trouvais ça intéressant, car dans une chanson, on peut créer une narration juste sur un instant avec un début, une fin et un milieu. La chanson s’arrête sut la trottinette qui disparaît au bout de la rue, c’est ça aussi la musique, partager 3 secondes en 2 secondes vécues. On peut étendre le temps, le rendre élastique.

Une autre chanson, Tout est plus beau sans le son, pourquoi d’après toi ? 

Pourquoi je ne sais pas, mais c’est ce que je pense. C’est venu d’un film très beau que je conseille à tous, Sound of Metal de Darius Marder : ce film parle d’une personne qui perd l’audition et traite de l’acceptation du silence. Vers la fin du film, après un long périple pour tenter de regagner l’audition via des appareils qui donnent une version altérée du réel, il préfère les retirer et il se rend compte que les choses sont belles ainsi.

Pour un musicien, cela semble drôle comme réflexion ? 

C’est vrai, mais tu vois, je pense que je préférerai être sourd qu’aveugle par exemple, car on peut s’exprimer par d’autres sources que la musique.