Introduction
On écoute et on consomme (presque) tous la musique … Mais personne ne le fait pareil ! Bienvenue dans la série d’interviews des “Portraits musicaux”, celle qui décrypte, compare et raconte notre usage de la musique au quotidien, et plus précisément, celui des créateurs de contenu. J’invite ce corps de métier à se livrer sur ce qui rythme ses journées, quels que soient le domaine et la plateforme des intéressés. Pourquoi eux ? Parce qu’ils représentent mieux que personne notre époque et ses enjeux, entre partage, exposition sur les réseaux et incarnation d’une génération spécifique.
Un critère : la musique ne doit pas être plus qu’une passion.
Une requête : l’invité doit choisir un artiste et trois clips qui l’ont marqué au cours de sa vie.
Découvrez leurs habitudes d’écoute, leur parcours musical et rencontrez ces faiseurs d’images à travers ces entretiens sous un angle neuf et original !
Présentation
Pour ce premier épisode, entrez dans l’environnement musical de Laure – les liens de l’ensemble de ses réseaux sont à la fin de l’interview. Ou plutôt, entrez dans une partie de son environnement puisqu’il serait impossible d’en faire le tour intégralement. Active sur Youtube principalement avec sa chaîne “Art Comptant pour rien” qu’elle anime seule depuis six ans, Laure est créatrice de contenu sur trois plateformes différentes, et regroupe à ce jour une communauté de plus de 70 000 personnes. Ce travail à plein temps, de longue haleine, nous introduit avec finesse dans le monde de l’art avec un grand A. Tu as en horreur les musées et tu prends les artistes pour des illuminés ? Laure saura te réconcilier avec cet univers épais et farfelu, qu’elle simplifie et déconstruit avec humour, exactitude et bienveillance. Ses vidéos sont toujours à thème, et dépassent rarement les quinze minutes. Fascinée par les bébés moches des peintures de siècles d’antan et par la grammaire japonaise, elle nous parle dans cette interview de son rapport à la musique, et de sa passion pour le groupe de k-pop BTS.
Laure est née en France en 1991, est diplômée d’une Licence et d’un Master en arts-plastiques avant d’avoir été élève deux ans aux Beaux-Arts. Elle est créatrice de contenu sur Youtube, Instagram et plus récemment sur Tik Tok et a vécu à Bruxelles pendant dix ans. Elle est passionnée par les travaux manuels comme la broderie, le dessin, l’aquarelle ou le crochet.
Elle aime la musique, elle en écoute (beaucoup), sans pour autant y être accro. Deezer et Spotify sont ses outils d’écoute exclusifs puisqu’elle n’écoute pas la radio, ne regarde généralement pas de clips sur Youtube, faute d’intérêt, et qu’elle n’aime pas les concerts, sauf ceux qu’on peut regarder sur Youtube, quand ce sont des lives sans public. Laure peut écouter jusqu’à quatre heures de musique par jour. Elle explique que dès qu’elle travaille, une playlist tourne, et que ça l’accompagne aussi lors de ses déplacements, dans la rue, dans les transports.
La sélection de Laure
Les trois clips
Big Bang, Tonight, 2011, le premier clip de k-pop qu’elle ai regardé.
Miyavi, Kimi Ni Negai Wo, sa chanson préférée de ce musicien.
Commentaire sur sa sélection : “Je réalise que les clips pour moi ça importe si peu, que je n’ai pas fait gaffe à leur aspect visuel, uniquement au sonore.”
L’artiste/groupe
BTS
Entretien
- Comment t’es-tu intéressée à la musique et quel est ton parcours musical jusqu’à aujourd’hui ?
“Ma soeur n’écoutait que des trucs des années 80, mon frère écoutait tout ce qui était rock, métal et mes parents écoutaient autant du classique que du Metallica, que du jazz … J’ai toujours eu un environnement très éclectique musicalement parlant. À mes douze ans, dès la sixième j’ai commencé à écouter de la pop japonaise, et je n’ai écouté que ça jusqu’à mon bac. En terminale je me souviens qu’on avait eu une conversation avec des potes qui parlaient de Booba, et je n’avais absolument aucune idée de qui il était, alors ils m’ont dit qu’il fallait absolument que j’écoute autre chose que la pop japonaise, que j’étais déconnectée !” (rires) Alors j’ai commencé à écouter d’autres styles, puis j’ai écouté de la k-pop, puis j’ai réécouté des trucs un peu plus communs, mais maintenant je ne suis au courant de rien.”
Laure explique.
“J’ai une culture musicale qui est très précise et les trucs vraiment connus, si je ne les ai pas vu passer sur Twitter, il n’y a aucune chance que je connaisse. Je n’écoute pas la radio, quand je sors j’ai toujours mes écouteurs avec ma musique donc je n’entends pas ce qui passe dans les magasins, soit on me parle d’un titre, soit je tombe dessus par hasard mais sinon je ne connais pas. Ou alors sur Tik Tok. Ça m’a bien ouvert depuis deux ans, j’ai découvert plein de trucs grâce à ce réseau social.”
- C’est drôle parce que tu dis ne pas beaucoup écouter de mainstream, pourtant la k-pop l’est devenue vu le succès qu’elle rencontre aujourd’hui. Pourquoi écoutes-tu autant de pop japonaise et coréenne ?
“J’écoute de la k-pop et de la j-pop parce que ça me plait et que j’ai énormément la flemme de chercher d’autres sons. Quand des potes mettent leurs playlists en soirée, je peux apprécier et en ajouter à mon Spotify, mais il y a très peu de chance que je réécoute. Je suis très routinière avec mes playlists et j’aime bien tourner en boucle sur les mêmes sons.”
- Écouter de la musique pour toi c’est naturel ?
« Ça l’a toujours été parce que je suis dans la team “ce que j’écoute c’est la bande son du film dont je suis l’actrice principale”. Si je fais le ménage je vais mettre une musique entrainante, si je suis dehors et que j’ai envie de mettre un truc badass, je le fais parce qu’en plus ça ira bien avec moi qui marche dans la rue, du coup j’écoute beaucoup de son, beaucoup de musique. Il y a un truc que je ne fais pas, que mes copines font c’est écouter des trucs tristes. Le truc d’écouter un morceau triste alors que tu l’es déjà, c’est pas pour moi. Si je suis triste je vais écouter quelque chose qui me met vraiment de bonne humeur pour contrebalancer. J’écoute que de la musique qui me rend joyeuse.”
- Tu écoutes de la musique quotidiennement ?
“ L’année dernière j’en étais à trois, quatre heures par jour. Ca va vite parce que dès que je travaille, je mets de la musique en fond.”
- Sur quelles plateformes écoutes-tu ta musique ? Deezer ? Youtube ? Spotify ?
“J’ai Deezer et Spotify. Quand Deezer est apparu je me suis mise sur Deezer, et il y a un an je me suis rendu compte que Spotify c’est mieux, mais j’ai tout ce qui m’a plu ces 15 dernières années sur Deezer. Et j’ai une flemme astronomique de tout transférer. Donc je paye les deux. Ça m’arrive hyper souvent de me dire “Ah mais c’était quoi déjà ce son il était trop bien”, et de me souvenir dans quelle playlist je l’avais rangé sur Deezer, alors je vais le chercher. Sinon concernant Youtube je ne regarde pas les clips, jamais.”
- C’est amusant, dans tes vidéos tu analyses des œuvres d’art, tu observes tu décortiques, je pensais que tu serais intéressée par ce qui illustre et entoure la musique, dont les clips.
“Je regarde des vidéos de youtubeurs qui analysent des clips de k-pop, mais le faire moi seule ou m’y intéresser, non.”
- Classe ces quatre éléments du plus important au moins important : mélodie, émotions, visuels, textes.
“Emotions, mélodie, textes, visuels. Parce que je ne vais pas non plus chercher la traduction des trucs, sauf si c’est dans une langue que je comprends. Il faut vraiment que la chanson me plaise et qu’il y ait un petit truc entre elle et moi et là je ferais la démarche de savoir de quoi ça parle. ”
- Et quand c’est en français ?
“J’écoute pratiquement rien en français. Le problème du français, c’est que vu que tu comprends direct, je trouve que ça met une barrière où le sens prend la première place, et il suffit que tu trouves le sens des paroles nul, et ça casse tout le reste. Il vaut mieux ne pas comprendre ce que tu écoutes je pense.”
- Tu parles coréen ?
“J’apprends le coréen, juste assez pour comprendre des mots, je parle japonais, donc je comprend déjà plus les chansons en japonais. Mais je ne fais même pas l’effort d’essayer de comprendre. En anglais, si je ne me concentre pas sur ce que j’entends, les mots vont passer et à moins que ce soit un truc fort, je ne vais pas y prêter attention. A part si je veux chanter la chanson plus tard, j’essaye de me déconnecter de la signification des paroles. Typiquement les chansons de Britney Spears, c’est en les réécoutant adulte et en voulant chanter dessus que je me suis dit “Attends mais qu’est-ce qu’elle raconte en fait ?” Alors que je les ai écouté toute ma vie, que je parlais anglais au lycée, et pourtant je n’avais jamais fait gaffe.”
- Cite trois artistes dont tu as été complètement fan.
“Dans un ordre de préférence, Miyavi, BTS et Moderat. Moderat, j’aime bien parce que j’avais été les voir en concert alors que je déteste ça. J’avais vraiment bien aimé, et après j’avais écouté tous leurs sons. C’est de l’électro, un truc un peu dans l’espace, qui te met dans un mood préétabli par la chanson. Il y a BTS et Miyavi je le mettrais en première place parce que ça a vraiment été le premier artiste musical dont j’ai été fan. Je n’ai pas eu Lorie, Alizée, Britney, il est arrivé avant tout ça, du coup même si je ne l’écoute plus en ce moment, parce que je n’aime plus trop ce qu’il fait, il reste en première place.”
- Tu es attirée par les cultures asiatiques spécifiquement ? Tu as d’abord écouté de la k-pop et de la j-pop, qu’est-ce qui fait que c’est ça qui t’as attirée en premier ?
“Mon grand frère était fan de Dragon Ball Z, et ma grande soeur fan de Nintendo. J’ai grandi avec plein d’animés, des consoles, et en 2006, quand j’avais 15 ans, avec ma mère on a fait notre premier voyage au Japon. J’étais fan, elle aussi, et à partir de là on est tombées dedans.”
- Quel est le meilleur concert que tu aies fait ?
N’en a pas parce qu’elle n’aime pas ça.
- Pourquoi tu n’aimes pas les concerts ?
“ D’abord parce c’est un trop gros rassemblement de gens dans une même pièce, qu’on est trop compressés et aussi parce que je trouve que l’expérience musicale du groupe ou des chansons, juste dans mes oreilles me suffit. Voir les stars en vrai je m’en fiche, ma vie n’en sera pas changée. Si je pouvais assister à un concert en étant seule et bien placée, ok. Et il y a aussi l’émotion. Si je suis entourée par des gens qui ont trop d’émotions, ça m’enlève les miennes.”
- Qu’est-ce que c’est la musique pour toi et qu’est-ce que ça t’apporte ?
“Ça me donne le smile ! Si je suis tendue, énervée, triste, je vais écouter ma musique et je vais être contente.”
- Est-ce que ton humeur peut faire effet sur ton expérience d’écoute ? Si tu écoutes un projet que tu attendais depuis longtemps, d’un artiste que tu aimes, mais que tu ne te sens pas bien, ça peut t’empêcher d’apprécier le projet ?
“L’année dernière BTS ont sorti deux sons que je n’ai pas trouvé dingues. Mais vu que j’aime le groupe j’ai fais l’effort de leur donner une deuxième chance. Et même si tu n’aimes pas un son, à force de l’écouter tu vas trouver des trucs bien dedans. Ce sera plus aussi catastrophique que la première écoute.”
- Tu dis écouter plusieurs fois les mêmes titres. Les écouter en boucle ne te fais pas changer d’avis par rapport à eux ?
« Ça dépend. J’ai mes playlists où je sais qu’il n’y a que des sons que j’aime, mais quand je découvre un nouveau son par hasard, je le like sur Spotify, et au bout de dix sons likés, je vais tourner en rond sur cette sélection.”
- Quel rapport as-tu au silence ?
“ Depuis quelques années, je fais des exercices de méditation justement pour ne plus rien avoir dans la tête. J’en arrive maintenant à un stade où je n’ai plus de pensées intrusives. Si je ne parle pas, je n’ai rien dans la tête. Donc j’adore le silence. Et si je ne fais rien, je ne vais pas écouter de la musique. Pour moi la musique va avec une action. Je peux tout à fait ne rien écouter tout en ne faisant rien.”
- Tu achètes des CDs ?
“ Oui, que de k-pop ! (rires) J’ai même acheté un lecteur pour aller avec.”
- Quels sont ou quel est ton album préféré ?
“ Je n’en ai pas. J’ai des sons préférés, et encore ça serait difficile de faire un top, mais pas d’albums.”
- Est ce que les artistes que tu écoutes ont une influence sur toi et tes choix ou tes goûts, ton mode de vie ?
“ Pas du tout, même quand j’étais plus jeune. Le seul lien qu’on pourrait trouver c’est que quand j’étais adolescente, j’écoutais un style de musique japonais qui s’appelle le visual kei une sorte de métal mélangé à du gothic lolita et vu qu’un style vestimentaire fort était directement lié à ce genre de musique, je le portais, j’avais le style de tous les gens qui écoutent cette musique mais rien de plus. Je ne vais pas acheter un produit (hors merchandising et musique) parce que mon groupe préféré en fait la pub. Les seules choses que j’achète en merchandising, ce sont les albums et les DVD de live. Une fois j’ai acheté la collab de BTS avec McDo, parce que ça m’avait fait rire, mais si ce n’est pas utile, je ne prends pas. Par contre, dans les boutiques de souvenirs des musées, j’achète toujours un truc.”
- Quel est ton rapport à la musique ?
“Si tu me dis que du jour au lendemain, ça n’existe plus, je me dirais que c’est nul, mais ma vie continuera. C’est important mais pas vital.”
- Tu parles japonais, si tu l’as appris c’est parce que tu écoutais de la musique dans cette langue ?
Le Japon, j’y suis allée dix ou douze fois. Donc à la base, j’ai appris le japonais par praticité quand j’y vais en tant que touriste, pas pour la musique. Néanmoins pour le coréen j’ai une raison très spécifique. J’ai vu une vidéo dans laquelle les BTS jouaient à un jeu à l’école. Il y avait une phrase en coréen au tableau et ils devaient la mettre dans le bon ordre, tout ça pour expliquer un point de grammaire. Et je me suis dit “Je veux comprendre ce point de grammaire !” J’ai appris le coréen uniquement pour ça. J’adore la grammaire japonaise, et celle du coréen est assez similaire, alors que je suis nulle en grammaire française. Mais c’est quelque chose qui me passionne. Apprendre le coréen, c’était pour la grammaire.”
- BTS est un des groupes les plus connus au monde, beaucoup de gens auraient pu le sélectionner dans leur groupe favori, pourquoi toi tu as fait ce choix ?
“ J’écoutais de la k-pop adolescente, mais c’était celle de première génération. Avec BTS tout a commencé en 2019. BTS a commencé à faire de la musique en 2013, alors que j’avais arrêté d’écouter de la k-pop en 2012. Je les ai donc raté mais de toute façon à l’époque je n’aurais pas aimé. Il y a deux ou trois ans, des gens me parlaient d’un clip de BTS, où il y avait des œuvres d’art, en me demandant de faire une vidéo dessus. On me l’a tellement demandé, que je me suis dit qu’il fallait que je la regarde, et que je me penche sur tout ce que j’avais manqué en k-pop depuis dix ans. J’ai donc écouté ce qui était à l’époque le son le plus récent que BTS ait sorti, et en même temps, Youtube premium sortait un documentaire sur eux. Ça a pris direct.”
- Comment gères-tu le fait d’adhérer à la k-pop, d’aimer cette musique et cet univers, tout en sachant qu’il y a quelque chose de grave derrière (surentraînement des artistes, conditions de travail opaques et abusives, côté machines à sous) ?
“Tu ne peux pas fermer les yeux là-dessus. Avec les années, BTS et d’autres groupes parviennent, je trouve, à prouver leur sincérité. Après on n’est jamais à l’abri de découvrir un jour que tout est faux. D’un autre côté on sait tout ce qu’ils font puisque tout est filmé. Après je me dis que pour Justin Bieber par exemple, rien ne nous dit non plus qu’il écrive réellement toutes ses chansons et caetera, l’un dans l’autre ça se vaut, même si pour la k-pop c’est spécifique et particulièrement horrible. On aime leur musique, on les soutient mais en même temps on sait qu’il y a quelque chose derrière. Tant que tu ne participes pas à toute la haine qu’il y a par exemple sur Twitter à l’égard des groupes, et que tu consommes leur musique sainement, c’est le mieux à faire pour eux et il faut espérer que ça change. Qu’un jour en regardant ce qu’il se passe dans les autres pays par rapport à la musique et comment sont traités les artistes, que la Corée prenne ça en considération et que les choses s’améliorent pour eux.”
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