Rencontre avec Mathis Akengin

Entre fragilité, puissance et sincérité, Mathis Akengin façonne un univers à son image : libre et poétique. Pianiste formé au conservatoire, il a grandi entre les tournées blues rock et les expérimentations sonores, avant de se lancer en solo. À l’aube de la sortie de son premier album — enregistré intégralement chez lui — il nous parle de ses influences, de sa famille et de cette quête d’authenticité qui traverse toute sa musique.

Peux-tu te présenter et me parler de ton parcours musical ?
J’ai commencé le piano assez jeune, vers six ans, au conservatoire. J’y ai suivi un parcours classique, mais en parallèle, j’ai très vite rejoint des groupes. À douze ans, j’ai eu la chance de faire mes premières tournées avec mon tout premier groupe, un projet de blues rock qui marchait plutôt bien en France. C’était une super expérience, presque semi-pro, surtout à cet âge-là.

Depuis, j’ai eu plusieurs projets et collaborations qui m’ont permis d’explorer pas mal de styles différents. Le rock reste très présent dans tout ce que je fais, mais il y a aussi une vraie influence jazz oriental et world music dans mes morceaux solo.

Qu’est-ce qui t’a amené à commencer la musique aussi tôt ?
Mes parents m’ont forcé ! En général, quand tu commences la musique à six ans, c’est rarement par choix. Je suis d’origine turque, et quand on est arrivés en France, la musique était presque aussi importante que l’école pour mes parents. Ils n’étaient pas musiciens, mais pour mon frère et moi, c’était obligatoire.

J’ai choisi le piano simplement parce qu’il y en avait déjà un à la maison, donc c’était pratique et moins cher. Le vrai plaisir est venu un peu plus tard, quand j’ai commencé à bien maîtriser l’instrument et à pouvoir vraiment m’amuser avec.

Le piano est un instrument classique mais ton son et ton parcours sont plutôt éclectiques, comment ça s’explique ?
L’enseignement classique que j’ai reçu au conservatoire se ressent toujours dans certains aspects techniques de ce que je fais. Mais j’ai toujours eu cette envie d’explorer, de sortir un peu du cadre. J’essaie d’en garder des traces dans ma musique, sans que ça prenne toute la place.

Mon but n’a jamais été de faire de la musique classique pure, même si ça m’a beaucoup appris. En sortant d’une formation comme ça, il y a un vrai travail de désapprentissage : accepter qu’une note ne soit pas “juste” ou qu’un son soit un peu bancal. Et pourtant, c’est souvent là que ça devient le plus intéressant, parce que c’est vivant et un peu imprévisible.

Tu avais uniquement joué en groupe jusqu’à maintenant. Quel est la principale différence entre faire partie d’un groupe et avoir son projet solo ?
C’est beaucoup plus intime… et forcément un peu plus intimidant. J’ai un rapport très personnel au piano, donc jouer seul, c’est une vraie mise à nu. Ce projet, c’est presque une séance de psy : t’as plus les copains autour de toi, tu ne peux pas te cacher.

Les premiers concerts ont été un peu durs, mais dans le bon sens. J’ai retrouvé un trac que je n’avais plus ressenti depuis des années. C’est très prenant, mais aussi super excitant, parce que tu peux vraiment faire ce que tu veux. C’est plus de boulot, mais c’est aussi plus libre, plus vivant. Et puis, c’est la première fois que je chante vraiment sur un de mes projets. D’habitude je fais juste des chœurs, donc c’est un vrai pas en avant pour moi.

Quel métier aurais-tu voulu faire si tu n’étais pas devenu musicien ?
Quand j’étais petit, j’avais très envie de devenir scénariste. Mais je me suis rendu compte qu’il fallait lire beaucoup de livres et de scénarios, et lire c’est pas trop mon truc ! J’ai aussi pensé devenir cuistot, parce que mes parents avaient une brasserie dans laquelle j’ai passé énormément de temps quand j’étais enfant. Puis j’adore cuisiner !

Comment décrirais-tu ta musique en quelques mots ?
Fragile, immersive, puissante. Fragile, parce que c’est toujours un peu sur le fil, à fleur de peau. Ce qui m’intéresse, c’est l’imperfection dans la musique. J’aime travailler avec du matériel un peu capricieux, comme un vieux lecteur à bandes des années 70 qui déforme le signal et le sature. Il y a une vraie prise de risque là-dedans, une envie d’expérimenter, que j’essaye de retranscrire aussi sur scène.

J’aime entendre les respirations, le bruit des marteaux sur le piano, le grincement du tabouret… tous ces sons qu’on ne garde pas d’habitude. Pour moi, ça fait partie de l’émotion. C’est une manière d’être au plus près du réel, de garder quelque chose de brut et d’authentique.
Et puis, sur scène, je joue souvent au milieu du public, dans un esprit un peu boiler room, pour créer une vraie immersion.

Crédit : Hugo Horsin

Qu’est-ce qui t’inspire au quotidien pour créer ?
Ma vie tourne beaucoup autour des tournées, des voyages et des rencontres. Et c’est vraiment ça qui m’inspire le plus. J’essaie toujours de comprendre ce qui relie les gens entre eux. Par exemple, quand je joue dans un festival, j’aime savoir quelle est son histoire, pourquoi il existe, qui sont les gens derrière.

Je pars du principe que tout le monde a une histoire à raconter, avec sa sensibilité, ses forces et ses failles. Et parfois, c’est une simple scène du quotidien — un truc un peu absurde ou poétique croisé dans la rue ou dans une boulangerie — qui va me rester en tête et nourrir un morceau.

Est-ce qu’il y a des personnes qui t’ont inspiré au cours de ces rencontres, sans le savoir ou sans y penser ?
Oui, clairement. Le métier de musicien, c’est aussi beaucoup observer et analyser les autres : leur manière de jouer, leur énergie, le matériel qu’ils utilisent… Je peux être inspiré par des artistes de tous styles, mais aussi par des techniciens.

Je trouve ça fascinant de voir comment certains arrivent à s’adapter à chaque projet, à chaque son, alors qu’ils bossent sur des dizaines de concerts différents chaque année. Leur écoute, leur précision, leur capacité d’adaptation, tout ça m’inspire énormément.

Qui sont les artistes qui t’inspirent le plus ?
Celui que je cite le plus souvent, c’est Patrick Watson. Son parcours m’a beaucoup influencé quand j’ai commencé à envisager un projet solo. Il a un univers très riche, multiple, mais on reconnaît toujours sa patte. Ça m’a fait comprendre que quand tu es sincère dans ce que tu fais, il y a forcément une part de toi qui transparaît. Réaliser ça m’a vraiment aidé à me lancer.

Sur un plan plus musical, j’aime beaucoup Woodkid. J’admire le fait qu’il soit à la tête de tout : la prod, l’image, les clips… Il maîtrise son univers de A à Z, et c’est super inspirant.

Comment as-tu trouvé le son qui te correspond ?
Je crois que ça passe d’abord par le fait d’accepter une forme de frustration. Quand tu écoutes un artiste ou que tu vois un concert, c’est facile de se dire : “J’aimerais tellement sonner comme ça.” Mais au final, il faut apprendre à ne pas se comparer et à creuser ce qui te ressemble vraiment.

Parfois, tu penses avoir trouvé la bonne direction, et puis tu changes d’avis quelques semaines plus tard. C’est normal. Pour garder une cohérence, c’est important de s’entourer de gens de confiance, capables de te donner un vrai retour, même quand c’est pas agréable à entendre.

Et surtout, il faut accepter de ne pas tout contrôler. Quand t’as la tête dans ton projet, c’est presque impossible d’être totalement objectif. Parfois, laisser les choses respirer, ça permet d’avancer beaucoup plus naturellement.

Si tu pouvais choisir n’importe quel artiste avec lequel travailler, ce serait qui ?
Le premier nom qui me vient, c’est Victor Solf. J’aime beaucoup ce qu’il fait depuis la fin de Her. Il a une voix qui me touche beaucoup, très sincère. Et j’aime aussi le fait qu’il se soit mis à chanter en français — je trouve que ça lui va super bien. Comme j’ai commencé à chanter en français moi aussi avec ce projet, je me dis que ce serait vraiment génial de faire quelque chose ensemble.

Qu’est-ce que tu peux nous dire de ton album qui sort l’année prochaine ?
C’est un album très personnel. Tous les morceaux parlent de moi, de mon passé, de ma famille, de mon arrivée en France… Chaque titre raconte une partie de mon histoire. Je dirais qu’il est riche, sincère, et — j’espère — un peu poétique. Les premiers retours que j’ai eus sont très positifs, donc ça me rassure !

C’est un projet assez particulier, parce que je l’ai entièrement enregistré chez moi, par choix. Par exemple, pour les percussions, c’est juste moi qui tape sur mes casseroles ou sur mon piano. Je le vois un peu comme un accouchement : ça a été éprouvant, mais je suis vraiment fier du résultat.

Quelle est la chanson qui représente le mieux l’album selon toi ?
Je dirais Passage des fleurs. C’est une chanson que j’adresse à mon grand-père. Il parle pas français, je parle pas turc, mais on est très proches. Le morceau parle de ça : du lien qu’on peut avoir avec quelqu’un, même sans se comprendre par les mots.

Le titre vient d’un quartier d’Istanbul où il traînait quand il était jeune. C’est un clin d’œil à lui, et à cette part de mon histoire familiale.

Est-ce que tu as un coup de cœur musical à partager ?
En ce moment j’écoute beaucoup Little Simz, je la trouve trop forte même si ça n’a rien à voir avec ce que je fais ! 

Un mot de la fin ?
Allez écouter Mer d’hiver, c’est mon premier single en français ! Il y aura une série de singles et de clips qui sortiront en 2026, j’ai vraiment hâte de partager tout ça. Et je serai en tournée — je passe notamment au Hasard Ludique le 14 octobre. Venez !

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