Ce week-end, à deux heures de train de Paris, se tenait l’avant-première d’un nouveau festival de musique particulier et prometteur : Touquether. Cette appellation fait référence au « Touquet », station balnéaire haut-de-gamme où s’est déroulé l’événement, et au vocable « Together » (« Ensemble », en anglais…). Quant à l’événement, il témoigne de la nécessaire mobilisation de tous contre l’autisme…
Tout commence en 2018, lorsque le communiquant Florent Chapel et l’acteur Samuel Le Bihan créent Autisme Info Service, une plateforme gratuite d’écoute et d’information pour orienter et accompagner les familles d’autistes (www.autismeinfoservice.fr). Eux-mêmes pères d’enfants autistes, Florent et Samuel ont éprouvé l’isolement et souffert du manque de moyens mis à la disposition des familles confrontées à ce handicap dont on parle peu, bien qu’il touche quelque 700000 personnes en France. Si la plateforme a prouvé son utilité, il convient désormais d’en assurer la pérennité. Voilà pourquoi Florent et Samuel ont mis toute leur énergie dans la création de ce nouveau rendez-vous culturel estival dont la totalité des bénéfices sera reversée à Autisme Info Service et à des associations œuvrant pour une meilleure prise en charge, inclusion sociale et scolarisation des personnes affectées par ce handicap.
À 1,5 km de la plage qui s’étire le long de la Manche, cernée par la verdure et un gazon à faire pâlir les Anglais, une imposante maison blanche prolongée par une verrière capte le regard : c’est ici, au Palais des Congrès du Touquet, sur la scène de la salle Ravel, que les artistes démarrent l’aventure Touquether.
Assis devant un piano à queue noir, traversé par un faisceau de lumière, le chanteur Malik Djoudi ouvre la soirée. Transformant sa pop dansante habituelle en mélodie planante, il passe d’une octave à l’autre sans difficulté.
Keren Ann lui succède, sans ses musiciens, seule avec sa guitare puis au piano. Voix toujours plus envoûtante, tantôt en anglais, tantôt en français, elle revisite cinq titres dont le célèbre Jardin d’hiver écrit avec Benjamin Biolay pour Henri Salvador en 2000. Le public ne se résignant pas à la laisser partir, elle offre un dernier titre a capella avant de s’éclipser.
L’affiche, diversifiée, offre un set au groupe nantais d’électro-pop Vidéoclub mené par Adèle Castillon. À 19 ans, elle chante la vie d’une adolescente amoureuse sur une scène qui devient turquoise, rouge, rose, violette…
Après l’entracte, le public découvre Percujam, un groupe hors-norme car composé de jeunes adultes autistes et de leurs éducateurs. Leur son mixe reggae et pop rock. Leur joie est contagieuse : la salle est debout !
On se rassoit sagement pour accueillir Keziah Jones. Le Nigérian s’est fait connaître au début des années 90 avec son premier tube Rhythm is Love. Assis sur un tabouret, salopette blanche et chapeau, guitare électrique en bandoulière, il nous sert sa musique signature, la « bluefunk », un mélange de blues et de soul funk.
La fin de soirée est confiée à un « artiste surprise », comprenez un artiste dont le nom ne nous a été révélé qu’en début de soirée : le chanteur anglais Charlie Winston. Chapeau Fedora sur le crâne, il se balade dans les gradins avec sa guitare, comme s’il allait chercher l’approbation d’un public déjà conquis. Il repart sous une belle ovation après l’interprétation de Like a Hobo, son hit dont la salle a chanté le refrain en chœur.
Au festival Touquether, est associé le slogan « Vibrer pour aider ».
Promesse tenue : nous avons vibré et ce sera utile.
Après sa prestation, pendant l’entracte, Keren Ann m’a accordé quelques minutes dans sa loge pour détailler les raisons d’un engagement qui lui tient à cœur.
Pourquoi avez-vous accepté de jouer à l’occasion d’un festival dédié à l’autisme ?
Quand on nous propose de venir jouer pour soutenir une cause, et bien évidemment quand on est libre, c’est toujours un honneur que de le faire. Surtout pour des amis qui se battent pour qu’on les entende, pour faire savoir les choses…
Là, en l’occurrence, la mobilisation contre l’autisme est une cause qui me touche. J’aimerais qu’on en parle davantage. J’aimerais qu’on trouve un moyen de soutenir les parents, les familles, qu’on puisse donner des outils utiles pour les vies touchées par l’autisme. J’ai eu la chance de connaître un petit enfant autiste. J’étais très jeune. J’avais une amie, très jeune elle-aussi. Elle a donné naissance à cet enfant. Il s’appelle Ben. Et cet enfant, c’était comme un poème dans notre vie. Avec beaucoup, beaucoup de difficultés, surtout pour mon amie. Et voir son combat m’a fait comprendre ce qu’elle endurait. J’ai été témoin de tout cela et du fait qu’on parle trop peu de l’autisme. Donc, quand on m’a proposé de soutenir la cause en jouant, comme j’étais libre, j’ai tout de suite dit oui.
Est-ce un hasard si vous avez raconté l’histoire de Ben sur scène juste avant de chanter Sous l’eau ? Dans les paroles, il y a cette formule : « Il me tue, cet amour »…
En fait, pour moi, cette chanson est liée à plein de choses. Au départ, il s’agit d’évoquer la ligne de crête qu’il peut y avoir entre le fait de perdre quelqu’un dans ses bras et le fait de prendre son enfant dès qu’il naît dans ses bras… (NDLR : Keren Ann a déjà expliqué que cette chanson pouvait à la fois faire référence au décès de son père et à la naissance de sa fille). Mais Sous l’eau parle aussi d’un amour très très fort, notamment de l’amour qu’on peut avoir pour son enfant. C’est la raison pour laquelle j’ai joué ce titre après avoir parlé de Ben. Je n’ai pas vécu l’expérience d’avoir un enfant autiste, mais j’ai eu la possibilité de voir ce que c’était que d’aimer quelqu’un qui a constamment besoin d’aide, qui a constamment besoin d’être accompagné. C’est un amour si fort que ça devient une priorité dans la vie des gens qui vivent ce « Bonheur qu’on ne souhaite à personne », pour reprendre le titre du livre publié par Samuel Le Bihan. Je sentais que cette chanson avait sa place à ce moment-là.
Pensez-vous, en tant qu’artiste, qu’il est de votre devoir de vous engager, quelle que soit la cause ?
Je ne sais pas si c’est un devoir mais je pense que quand on a la possibilité, quand on a la place pour le faire, ça nous rend très heureux de nous engager.
Vous êtes ouvertement engagée sur les réseaux sociaux et sur le terrain puisque vous participez à des manifestations (par exemple pour Samuel Paty). Pourquoi l’êtes-vous moins dans vos chansons ?
Je pense que je m’engage beaucoup dans les chansons : il faut juste lire entre les lignes ! Par exemple, dans Where No Endings Ends ou dans Ton île Prison.
Justement, pouvez-vous développer la signification de Ton île prison (album Bleue, 2019) ?
Il y est question de deux terres prises au piège d’un conflit, tout comme cela peut arriver dans la vie d’un couple. Dans mes chansons, il y a plein de messages entre les lignes… Quand je parle d’une cause très forte, d’un combat ou d’une problématique importante, je m’efforce de le faire comme si ça se passait entre quatre murs, entre moi et quelqu’un d’autre. Cet autre peut être un amoureux, un frère, un ami, parce que je pense que le dialogue s’établit d’abord entre deux personnes. Parfois, on pense que je chante des histoires d’amour mais en fait, ce sont plus que des histoires d’amour. Si on lit entre les lignes, on peut se rendre compte que je parle d’amour sans forcément parler de couple. Ça peut aussi parler d’un amour qui se cherche, d’un amour qui se vit dans l’adversité, d’un amour qui demande à être compris, analysé… J’ai un avis sur les choses et on peut toujours, entre les lignes, le trouver.