Le 11 février 2022, Jean Grillet alias chien noir, chante Histoire vraie aux Victoires de la musique. Il concourt dans la catégorie « Révélation masculine » remportée par le duo Terrenoire. Trois semaines plus tard, je le retrouve, casquette vissée sur la tête, dans le XIXème arrondissement de Paris où il s’est installé après avoir quitté Bordeaux, sa ville natale.
Nous nous installons dans un café à proximité de la station de métro Colonel Fabien. Il commande un café et nous discutons, de son parcours, de son premier EP Histoires Vraies, du deuxième à venir et de son pseudo, inspiré d’un pirate de l’Île au trésor de R.L. Stevenson.
Quelle enfance as-tu eue ? Elle est fondamentale dans ton écriture.
Étrange. J’étais à la campagne et isolé de plein de choses. Toutefois, ce fut une enfance heureuse car insouciante. Heureusement, nous avions, à la maison, un vieux piano. J’ai commencé à en jouer à 6 ans dans une école de musique. C’était super mais je me suis vite ennuyé !
Ados, mes copains et moi avions acheté des instruments pour faire de la musique ensemble. C’est ainsi que j’ai pris goût à la composition. J’avais acheté une guitare électrique pourrie ! Le problème des instruments pas chers, c’est qu’ils sont durs à jouer ; c’est contre-productif !
Pourquoi t’es-tu vite ennuyé à l’école de musique ?
Je suis une sorte de dilettante : j’ai fait plein de choses dans ma vie mais un tout petit peu car je me lasse vite. Par exemple, à 20 ans, j’étais en BTS œnologie. Je travaillais dans la production viticole et ce n’était pas tellement ma came même si j’en garde de bons souvenirs. J’ai même eu une médaille de dégustation ! J’ai aussi fait 3 mois d’hypokhâgne qui m’ont ennuyé…
N’as-tu pas peur de te lasser de ce métier ?
J’y pense… Mais je vis ma vie rêvée ! Ceci dit, je me verrais bien en Toscane, au soleil, avec un cocktail dans la main, en short, dans une chaise longue, ne faisant rien de ma vie…
Si tu avais le choix entre vivre sans travailler ou vivre en faisant de la musique toute ta vie, que choisirais-tu ?
Je ferais toujours de la musique ! Je ne pourrais pas rester oisif toute ma vie.
Quel a été ton parcours avant ta signature en 2020 dans un label ?
J’ai étudié au conservatoire puis j’ai intégré une compagnie de théâtre en tant que guitariste. C’était passionnant car engagé. Je trouve qu’un artiste doit l’être un peu… En parallèle, j’avais un groupe de musique qui s’appelait A Call At Nausicaa qui n’a pas marché.
À propos d’engagement, quels sont les combats qui t’intéressent ?
J’aimerais montrer aux gens qu’une vie différente est possible. Le monde cloisonné dans lequel on vit est dur : on fait des études jusqu’à 25 ans, on travaille pendant 50 ans. On doit faire enfants, etc. Ça n’a pas de sens ! J’essaye de donner un sens à ma vie, différemment. Formuler une opinion est engagement. Mais je ne suis pas politiquement engagé.
Tu projettes de sortir un album. Sera-t-il sur les thèmes déjà abordés ? Tu parlais de peurs de l’enfance…
Je crois que ça a évolué car je n’ai plus peur. J’ai l’impression d’avoir trouvé une place dans ma vie, notamment grâce au succès d’Histoire Vraie.
Et puis, d’autres interrogations me sont venues. Par exemple : « Pourquoi le vent ne nous traverse pas ? » On est fait de vide ! Si on zoome avec un microscope sur la peau, à l’échelle atomique, les atomes sont minuscules et autour, il y a du vide. C’est là-dessus qu’est orienté mon deuxième EP : « Si je suis fait de vide, qui suis-je ? ». J’ai essayé de trouver une réponse poétique à une question scientifique. Mon premier album pourrait sortir début 2023 si je travaille bien.
Peux-tu nous parler de ton dernier single Je regarde à côté ? À quoi t’adresses-tu ?
À la colère. Un jour, j’ai revu un ami pour la première fois depuis longtemps. Il était en colère car il venait de perdre sa maman. Je me suis vu en lui et ça m’a donné envie d’en parler. J’ai toujours mes parents mais on a tous des raisons d’être en colère. Il y a des gens qui gèrent ça très bien, ce n’est pas mon cas !
Le morceau ne sera ni dans l’album, ni dans le prochain EP. Il est plutôt lié aux chansons du premier.
«Un piano-voix permet de s’affranchir du style.»
Tu as signé avec un label pendant le confinement. Étais-tu inquiet pour l’avenir du métier ?
Non car pendant cette année-là, j’ai énormément travaillé. Par exemple, j’ai écrit toutes les musiques d’une histoire audio appelée Al Chapone, disponible sur l’application Alma Studio créée Martin Solveig.
Lors de mon temps libre, j’écrivais de la musique pour un jeu vidéo imaginaire, celui de ma vie. Les musiques de jeux vidéo m’ont toujours inspiré car j’ai perdu beaucoup de temps à y jouer ! J’aime ceux qui se terminent dès qu’on meurt. Ça nous oblige à devenir meilleur, c’est ce que j’essaye de faire dans ma vie, dans tous les domaines.
Il s’agit de devenir meilleur par rapport à toi-même ou par rapport aux autres ?
Par rapport à moi, pour avoir le sentiment d’avoir posé une pierre de plus. Ça vient du fait que je tire ma légitimité du travail. D’ailleurs, j’ai du mal à me considérer comme artiste. Je me vois plutôt comme un artisan.
Quelle est la différence ?
Je considère que je ne fais rien de magique. En musique, on travaille avec peu d’éléments. Chez nous, il y a 7 notes et 5 ou 6 accords utilisables avec des constructions toutes faites. Il n’y a plus qu’à tout assembler !
Il paraît qu’être hors-sol t’inspire. Écrire à Bordeaux est différent d’écrire à Paris ?
Pas forcément. À un moment, Bordeaux marchait très bien pour moi, j’y ai écrit tout mon premier EP ainsi que le premier tiers du deuxième. Je suis arrivé à Paris en avril 2021 parce qu’à Bordeaux, je faisais un blocage. J’avais besoin d’un redémarrage, professionnel et personnel. D’ailleurs, mon 2ème EP raconte un an de ma vie, à savoir la transition de Bordeaux à Paris. La couleur de l’EP sera « synthé-basse, piano et boîte à rythme. »
L’as-tu fabriqué avec Mark Daumail, comme le premier ?
Non. Avec le producteur Lionel Buzac. Nous nous sommes rencontrés car nous étions concurrents pour écrire une chanson pour Vanessa Paradis. C’est la mienne, écrite avec deux autres personnes, qui a été retenue. Nous en avons rigolé et je lui proposé de réaliser mon deuxième EP.
Tu as déclaré que la chanson Je suis une ville de Dominique A t’a fait réagir. C’est-à-dire ?
La première fois que je l’ai écoutée, je me suis reconnu dedans : aspirer l’énergie des autres. Et puis j’ai trouvé qu’avoir écrit cette chanson était scandaleux ! Car c’est s’apitoyer sur soi. Je ne juge pas Dominique A, mais je me suis dit que jamais je n’écrirai un texte pareil qui dit « je suis un monstre et j’abîme les autres ». Nous sommes tous des monstres mais, nous devons être positif. Je refuse d’être misérabiliste, un élan vers un ailleurs est toujours possible.
Pour toi, était-ce évident que le morceau Histoire Vraie soit un single ? Musicalement, c’est différent du reste de l’EP…
Pas du tout ! Même mon directeur artistique n’était pas convaincu. C’est ma chef de projet qui y croyait. J’y avais pensé car un piano-voix permet de s’affranchir du style. Tous les artistes en ont fait un ! Il permet d’être potentiellement écouté par tout le monde !
C’est une chanson qui parle de ta soeur…
Oui, en grande partie. Je venais de la retrouver. On a un peu plus de 10 ans d’écart, je suis le plus jeune. On s’était perdu de vue pendant 10 ans à cause du poids d’une enfance compliquée à certains égards. Quand on s’est retrouvé en 2019-2020, c’était hallucinant : j’avais un petit neveu.
Au sujet de la chanson Qu’est-ce que tu fais dans le noir ?, tu parles de « marques laissées par nos prédécesseurs dans nos vies ». La famille est-elle est fardeau ?
Parfois oui. Surtout quand elle a plein d’ambitions pour toi. Les gens sont plus préoccupés par la conformité que par le bien-être ou le bonheur. Et les parents peuvent nous transmettre des colères par exemple…
C’est le thème des chansons School de Supertramp et Another Brick in the Wall de Pink Floyd. Penses-tu que l’école joue aussi un rôle ?
Bien sûr.
As-tu été soutenu dans ta volonté de devenir musicien ?
On m’a d’abord dit de faire un vrai métier. C’est pour ça que j’ai fait un BTS œnologie. Là, c’est la conformité qui primait. C’était du temps perdu. Je n’en ai jamais rien fait à part me la péter dans une discussion parce que je connais le vin !
Pourquoi as-tu écrit ton pseudo, chien noir, en minuscule ?
C’est une façon de me challenger car quand c’est minuscule, ça peut passer inaperçu. Ça devient un nom commun. C’est un pseudo crée en 2017.
Est-ce une manière de te cacher ? Tu as toujours une casquette, jusqu’ici sur tes pochettes de singles et EP tu étais de dos ou dans l’ombre. Tu n’es jamais de face…
Ça change un peu avec les photos de tournée et de presse. Mais c’est une bonne question… Je commence à assumer alors qu’avant j’avais un peu envie de me planquer car je ne me sentais pas légitime.
Tout-à-coup j’ai eu deux manageuse, un éditeur et un label. J’ai écrit une chanson pour Hollysiz, une pour Vanessa Paradis. Je suis entré au fair, LE graal, une bourse pour accompagner les artistes. C’est une reconnaissance professionnelle. Et là je me suis dit que j’avais peut-être ma place.
chien noir sera en concert à Paris le 18 avril à la Boule Noire. Cliquez ici pour réserver.