Sixto Rodriguez : Meneur révolutionnaire à son insu

Dans la continuité des success story pas comme les autres (article sur Charles Bradley), j’ai décidé de vous parler de Sixto Rodriguez, aka Sugar Man.

Son histoire particulière est inimaginable aujourd’hui. J’ai découvert l’artiste grâce à un film-documentaire très intéressant qui retrace son parcours. Si vous voulez découvrir cette histoire incroyable n’hésitez pas à regarder « Sugar Man » de Malik Bendjelloul.

Sixto Rodriguez, un mythe entre rumeur et réalité

Le chanteur est né à Detroit aux Etats-Unis en 1942. Sixto est une référence au fait qu’il soit le sixième enfant Rodriguez. Issu d’une famille mexicaine, il n’aura jamais l’occasion de pratiquer l’espagnol suite à la mort de sa mère. Il n’avait alors que 3 ans. La famille Rodriguez appartient à la classe ouvrière et est donc concernée de près par les problèmes sociaux.  Son père, musicien, lui transmet dès son plus jeune âge la fibre créative et l’amour de la musique. Sixto Rodriguez arrêtera les études au lycée pour se consacrer pleinement à sa passion. Il jouera dans des bars miteux de Détroit où il reprendra ses artistes préférés : Beatles, Rolling Stones, Ray Charles, Bob Dylan etc.

Le début de ce que nous pensions être une success story

Deux producteurs du Label Sucexx Record remarquent Sixto Rodriguez lors d’une de ses performances dans l’un ces bars peu désirés de Détroit. Entrés dans la salle remplie de fumée, ils aperçoivent un artiste qui tourne le dos à son public. Pas étonnant lorsqu’on apprend que Sixto Rodriguez est d’une grande timidité. Pourtant, les producteurs sont subjugués par la voix du chanteur et décident de produire un premier album : Cold Fact, qui sortira en 1970. A ce moment là, il ne fait aucun doute, cet album va percer. Sugar Man, titre phare de l’artiste, est en première position de Cold Fact.

Le résultat est tout autre, l’album fait un énorme flop. Un producteur de l’artiste explique même que l’oeuvre ne s’est vendue qu’aux proches de la maison de disque et du chanteur. Un coup bas pour Sixto Rodriguez qui pensait faire un carton. Effectivement, de retour dans ces vieux bars miteux de Détroit, il continue ses performances : un soir, toujours dos à son public, l’artiste se tire une balle dans la tête et meurt dans les instants qui suivent.

Au même moment en Afrique Du Sud : il est considéré comme l’un des leaders de la révolution de l’Apartheid

Une personne dont nous ne connaissons toujours pas l’identité a importé l’album du chanteur en Afrique du Sud en 1970. Dans la foulée, le disque est piraté et diffusé en plusieurs milliers d’exemplaires sous forme de cassette et vinyles. Prenant connaissance de ce boom, plusieurs maisons de disques sud-africaines sortent son album. Sixto Rodriguez ne l’apprendra jamais. Cold Fact devient disque d’or, et est considéré comme arme politique. Effectivement, l’Afrique du Sud en plein Apartheid, subit un régime dictatorial. L’album deviendra très populaire auprès des jeunes de la classe moyenne blanche, contre le régime. Les paroles engagées et provocatrices trouvent une voie dans cette Afrique du Sud en pleine révolte. Le régime, sous la présidence de Pieter Willem Botha, censurera très vite Cold Fact. Cependant des radios pirates diffuseront ses titres malgré l’interdiction.

Dans les années 80, une de ses chansons devient un hymne à l’opposition de l’Apartheid : This Is Not A Song It’s An Outburst.

Sixto Rodriguez, toujours à son insu, influence des artistes sud-africains qui produiront par la suite des titres engagés. Certaines personnes se font même tatouer son visage pour montrer cet engagement. L’artiste américain est bel et bien une figure révolutionnaire en Afrique du Sud. Après plusieurs années de révolte,  l’Apartheid prit fin en 1994. Malgré son succès incroyable dans ce pays malmené par une politique raciale, personne ne sait rien du chanteur. Très peu d’informations sont disponibles à son sujet, c’est pourquoi l’un de ses admirateurs décida de faire quelques recherches.

Quand l’inimaginable se produit

Un disquaire du Cap a créé un site internet à l’effigie de Sixto Rodriguez pour en savoir plus à son sujet. En 1996, il reçoit un appel qui change tout. Cet appel, changera la vie de l’artiste. La fille de Sixto Rodriguez prend connaissance de ce site internet. Abasourdie, elle ne comprend pas réellement ce qu’il se passe. Elle décide donc d’appeler ce disquaire à l’autre bout du monde pour se renseigner. Le disquaire affirme rechercher des informations sur la vie de son père, notamment sur sa mort. La fille de l’artiste dû s’y prendre à plusieurs reprises pour expliquer que son père était bel et bien vivant, et qu’il vivait toujours à Détroit. Sixto Rodriguez, contrairement aux rumeurs, n’était pas mort.

Que s’est-il vraiment passé pendant tout ce temps ?

Après avoir fait un énorme flop, Sixto Rodriguez se rendit en Angleterre pour enregistrer un nouvel album dans les meilleures conditions : Coming From Reality (1971). Ce dernier ne connaîtra pas plus de succès avec cette deuxième prestation. Son label le remerciera en 1972, et il arrêtera la musique définitivement. Par conséquent, il exercera différents métiers physiques, principalement dans le bâtiment tout au long de sa vie active. Toujours proche de la cause ouvrière et apprécié dans son quartier, l’artiste se présentera à trois reprises aux élections municipales de Détroit, sans jamais être élu. En parallèle, il poursuit ses études de philosophie et obtiendra son master en 1981. Après avoir eu 3 filles, Sixto Rodriguez reste impliqué dans sa ville natale et encadre des jeunes en difficultés.

Lorsqu’on l’interrogera des années plus tard, en lui demandant s’il regrette de ne pas avoir eu connaissance de cette notoriété, il répondra d’une voix calme par la négative. De nature humble, il expliquera que s’il n’a pas eu connaissance de sa célébrité c’est qu’il y avait une raison.

Le retour de l’artiste et sa consécration

Il apprend donc par sa fille, en 1996, qu’il est célèbre en Afrique du Sud. Sixto Rodriguez n’en revient pas. En 1998, après avoir pris contact avec le disquaire du Cap, il est invité à faire une tournée dans le pays. Il a alors 56 ans. Un tapis rouge l’accueille et l’émotion est au rendez-vous. Personne ne croit ce qu’il se passe, une foule de fans acclame l’artiste à son arrivée. Toujours sous le choc, il ne comprend pas comment cela a-t-il pu arriver. Sa tournée est un succès et ses albums gagneront en notoriété aux Etats-Unis et en Europe. Certains de ses titres seront même samplés, à l’exemple du DJ David Holmes.

Dans les années 2000, proche de la soixantaine, Sixto Rodriguez fera des tournées en Europe, et accomplira son rêve d’artiste. Cependant une zone d’ombre subsiste. Malgré tous ses succès, il ne touchera jamais de bénéfices financiers même après avoir pris connaissance de ses ventes.

En 2012, Malik Bendjelloul réalise le film-documentaire « Sugar Man », qui contribuera encore plus à la diffusion de cette histoire incroyable. Le film a obtenu de nombreux prix et récompenses à travers le monde.

Je vous invite réellement à regarder ce film pour avoir tous les détails de l’histoire. C’est tout simplement captivant, vous prendrez connaissance de l’ensemble des titres de Sixto Rodriguez. Il vaut le détour faites-moi confiance !