Live report : Alexandra Streliski à la place des arts de Montréal

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Hier soir à Montréal, il y avait Alexandra Streliski à la salle Wilfrid-Pelletier de la Place des Arts.

J’y étais, par procuration, délégué par Mathieu.  Du coup, je me permets de me prendre pour lui. Et en me dépêchant, Mathieu ne s’est pas trompé, compte tenu de mon lien très intime avec Alexandra Streliski. J’ai dormi avec la pianiste très souvent et de longues heures, ce n’est qu’ainsi que je l’ai fréquentée. Jamais au volant, jamais avec des invités, jamais à un dîner. Seulement avec mes Airpods, sous une couverture sur ma terrasse, les yeux fermés. Parfois m’endormant, parfois non. Pour cette raison, j’appréhendais un brin partager mon intimité avec 5000 autres personnes. Et à raison d’abord. La musique très planante et aérienne d’Alexandra tolère mal les raclements, les toussotements, les chuchotements, les écrans de portable qui s’illuminent ici et là. Mais après 2 ou 3 pièces, j’ai fini par oublier le contexte et je me suis isolé avec Alexandra, grâce à la qualité incroyable de la sono. Les silences nombreux de son jeu s’étiraient sans fin, baignant dans une généreuse réverbération, ce qui n’existe dans aucun des enregistrements d’Alexandra.

La pianiste de blanc vêtue comme toujours et pleine d’esprit dans ses adresses entre les morceaux, n’aura été seule que pour la première et la dernière pièce du concert. Entre les deux, elle était accompagnée d’une violoniste et d’une violoncelliste, soit les jumelles Natalia et Julia Kotarba. Et bien sûr que j’ai triché et que j’ai dû post-googler un brin, faute de retenir leurs noms polonais. Tant sur scène que dans le mix, les violons étaient discrets et complémentaires, tout en subtilité et d’une justesse irréprochable.

2 pianos sur scène. Bien entendu, il y avait l’usuel très enveloppant piano de concert mais aussi, un piano droit sans son panneau avant, avec la mécanique et les cordes à nue. Encore une fois, coup de foudre pour la prise de son de ce dernier, qui saisissait magnifiquement l’attaque percussive des marteaux, accrue par cette réverbération qui m’a scié en deux.

Le clou du spectacle, presque à la fin du show, un type vêtu de noir apparait sur scène et se dirige vers le piano de concert, tandis qu’Alexandra joue déjà, humblement, le piano droit. Personne ne semble piger et ça chuchote de partout. De mon siège, ne pouvant distinguer le visage de l’intrus, je crois d’abord qu’il s’agit d’un technicien de scène. Mais il s’assoit au piano et s’installe pour chanter et, dès la première note, la salle pousse un immense murmure. Patrick Watson. To Build a Home. Je suis soufflé. Sa voix de contralto juchée, avec ce timbre très aéré, magnifié par l’envoûtante reverb (bon, je sais, j’avais dit que je n’en parlerais plus…), les deux pianos et deux violons… ouf, les frissons m’envahissent des tibias au scalp durant les 4 minutes de la chanson. Suivront 2 autres morceaux à 4 mains au piano droit et les deux violons. Il existe une vibrante complicité entre Patrick et Alexandra. Ils se sourient, se charment, s’amusent, cabotinent tout en faisant dos à l’audience. On s’amuse tout autant de les entendre rire comme des gamins.

C’est dans une finale pleine de sérénité, baignée d’une lumière jaune-orangée d’aurore, qu’Alexandra clora le dernier rappel avec un charmant ragtime à trois temps. Elle méritera pleinement le tonnerre d’applaudissements que la foule lui aura réservé à la coda.  En ouverture de concert, Alexandra Streliski explique à l’audience que chaque pièce est en fait une histoire. Et personne ne sait mieux qu’elle raconter les histoires sans mot.