Il y a quelques semaines, nous avons rencontré The Doug, Jules Granier de son vrai nom, dans les locaux d’Universal Music à Paris. C’est dans un bureau, sur un petit canapé, que celui-ci a répondu à nos questions et présenté son dernier EP Mauvais Joueur paru en février.
Salut The Doug, peux-tu te présenter pour ceux qui ne te connaîtraient pas ?
Je suis Doug, j’ai 22 ans, je fais de la musique depuis mes 16 ans et je viens de sortir un EP, Mauvais Joueur, qui est la suite de mon précédent projet Jeune The Doug et je prépare un album. Je fais de la musique hybride entre du rap, du rock, de la variété, de la folk, de la pop. J’ai des choses à dire qui viennent du fond de moi et j’espère que ça vous plaît.
Pourquoi The Doug ?
Quand j’ai commencé et qu’il fallait que j’ai un nom tout le monde avait un blase. J’avais 16 ans, ça sonnait bien et on m’appelait déjà comme ça avant. C’était mon nom en cours d’anglais, car la prof voulait qu’on se donne des noms anglophones. J’ai choisi Douglas qui était un pote de mon frère et c’est resté.
Tu as donc commencé la musique vers 16 ans ou ça a commencé à devenir plus professionnel vers cet âge-là ?
J’ai commencé à écrire les textes de mes chansons à cet âge-là, mais j’ai commencé la musique par la guitare en cinquième, vers mes 12 ans, lorsque ma mère nous a inscrit avec mon frère dans un asso. J’y apprenais les bases et je trouvais que c’était un bon moyen d’expression que je ne connaissais pas, car je ne viens pas du tout d’une famille de musiciens.
On écoutait tout de même de la musique chez toi ?
Oui ! J’ai beaucoup fait ma culture musicale avec ma mère, Brassens, de la scène punk, de la chanson française, les Red Hot … Le répertoire musical que l’on a eu avec mon frère n’était toutefois pas si immense que ça, on l’a donc poursuivi ensemble avec le début de la génération internet avec plus de rock, de métal et de rap. Au collège, j’étais fou de System of a Down par exemple, je n’écoutais presque que ça. Aujourd’hui, j’écoute de tout, je préfère m’ouvrir à tous les horizons. J’ai toujours aimé les chansons, ça m’a tout de même donné une fibre pour la mélodie et l’écriture.
Tu as décidé de porter un nom en anglais, mais tu écris en français, cela vient de tes influences ?
Quand j’ai commencé à développer ma culture musicale ce que j’écoutais était beaucoup plus anglais ou américain. Au début, je ne savais pas en quelle langue je voulais écrire d’où mon nom de scène, The Doug. Finalement, j’avais plus de choses à dire en français, c’était plus juste et sincère. Ensuite, je suis revenu à la chanson française, que je snobais un peu et j’y ai trouvé de la qualité.
Comment s’est passé le processus pour arriver à l’écriture ?
Je n’écrivais pas de chansons au début, mais je faisais des poèmes, des textes… Comme je faisais de la musique à côté, j’ai commencé à réfléchir au fait que je pourrais peut-être réussir à mettre les textes en chansons. J’ai toujours chanté, depuis tout petit, donc j’ai voulu essayé de chanter mes propres chansons. Timidement, j’ai commencé des petits raps sur ma guitare et c’est venu ensuite.
Et en 2018, tu as sorti un premier EP, Extincteur, c’est assez tôt dans ce processus …
Oui, c’était un projet totalement indépendant que j’ai fait tout seul avec des chansons qui dataient de 2016-2017. Le seul qui travaillait avec moi était Zicol, qui est encore actuellement mon ingénieure son sur mes tournées. L’objectif tait d’être un peu connu dans ma ville et de partager mes sons gratuitement sur Soundcloud. De fil en aiguille, j’ai rencontré une asso de ma ville, EDN, dont le gérant est désormais mon manager, il travaillait en lien avec la coopérative de mai. Ensuite, je me suis inscrit aux Sélections des Inouïs du Printemps de Bourges, un lieu où on envoie les talents émergents pour une semaine de découverte et de rencontre après des professionnels de la musique. J’ai été repéré à ce moment-là par Universal.
Tu as ensuite sorti un autre EP, Jeune The Doug, tu as cherché à avoir un lien avec ces deux disques ou ce sont des projets totalement autonomes ?
La temporalité est vraiment importante : dans le premier, ce sont mes textes d’adolescence tourmentée. Je n’avais pas les mêmes choses à dire, le message d’un adolescent est plus intense, noueux, explosif. Les frustrations et incompréhensions sortaient d’une manière forte et vive. En grandissant, les sentiments évoluent, se stabilisent, on s’appréhende mieux. Les deux projets sont don très différents, l’un est naïf, l’autre a une maturité dans le propos.
J’ai aussi sorti Jeune The Doug en étant suivi par un label, je n’étais plus seul. C’est désormais un travail, je m’y suis donné à 110% et j’étais plus vieux. C’est la première vraie pierre de ma carrière musicale. J’ai réfléchi à sa direction complète, dans les paroles et la sonorité.
Pour ce premier EP qui te présentait au grand public, tu as cherché un fil conducteur à ta musique ou au contraire, tu as cherché à présenter des titres plus éclectiques ?
J’ai pris les chansons qui me parlaient sur le moment. C’était un EP donc 5 chansons, on a cherché à instaurer une ambiance, un peu comme une carte de présentation de qui j’étais pour initier les gens à mon propos. Il y a des morceaux plus rap, plus rock, d’autres en guitare-voix, un peu de tout.
Être mauvais joueur ce n’est pas accepter la défaite et la frustration, il y a une vraie violence là-dedans.
Aujourd’hui un nouvel EP, Mauvais Joueur, qui est ce mauvais joueur ?
C’est moi (rires), aucun suspens. Je suis très mauvais joueur, j’ose espérer que ça s’améliore avec les années, mais je l’ai toujours été. Enfant, je me blessais les mains, je tapais les tables, j’étais très colérique. Je trouve ça ambigu d’être mauvais joueur, il y a un côté rigolo quand on y pense et puis ça peut prendre d’énormes proportions dans certains cas et situations. Être mauvais joueur ce n’est pas accepter la défaite et la frustration, il y a une vraie violence là-dedans. C’est lié à la colère, à la brutalité et c’est ce que je cherchais pour cet EP, plus brut, plus froid, ça passe aussi par l’image.
Ce côté plus brut pourrait entraîner des sujets plus intimes et pourtant, on retrouve plutôt des sujets qui peuvent toucher la société ou la collectivité ?
Oui, je ne cherchais pas un brut plus personnel, si on fait de la sociologie, on pourrait d’ailleurs se demander si la société n’est pas brutale. J’ai grandi avec des gens tristes pendant mon adolescence, il y avait de la misère émotionnelle et collective que j’ai pu côtoyer. Notre génération est dans un moment charnière de crise à tout niveau, soit on y répond par l’insurrection et la politisation, soit, comme beaucoup, on est impuissants, on est dans un mal-être tout le temps. Je voulais parler de cette seconde option et montrer aux gens qu’ils ne sont pas seuls.
Tu ressens personnellement cette frustration liée à la société dans laquelle on vit ?
C’est plus de la colère je pense. On aurait beaucoup aimé vivre il y a quelques années et pourtant, on est là, je pense qu’il y a une colère envers les générations d’avant qui se créée ainsi ; et pourtant si ce n’était pas nous ça aurait été d’autres … Cette colère ne sert à rien si on ne cherche pas à changer un peu les choses, mais à notre place, on a tous l’impression que c’est impossible. Je ne cherche pas à faire de la musique politisée, mais toute forme d’art l’est un minimum. Moi, j’essaye juste de mettre en lumière des situations et de réconforter les gens.
Dans Génération justement, il y a un cri d’alerte, mais aussi un partage et une affirmation de compréhension de ce que les gens vivent, c’est ça cette mise en lumière et ce réconfort dont tu nous parles ?
Ouais c’est ça, on pourrait résumer avec « tu es triste, je suis triste, viens, on se prend dans les bras et tu verras, ça ira un petit peu mieux ».
Je pense que le fil conducteur de cet album c’est son côté nihiliste, l’acceptation de la défaite, car finalement, il y a peu de rage de vaincre dans cet ensemble. C’est une mise en évidence des dégâts qui peut toutefois entraîner un vent changeant par cette prise de conscience. Il faut espérer un meilleur jour, du soleil, un meilleur temps.
Et que faut-il faire pour espérer ces meilleurs jours ?
Ça dépend des problèmes de chacun : l’amour, le mal-être… mais je pense que pour tous il faut rester droit dans ses bottes, c’est la seule chose de notre ressort.
Quand tu as commencé cet EP, tu savais quels sujets tu voulais aborder ou ils se sont déployés petit à petit au fil de l’écriture ?
C’est propre à chaque morceau. Pour Génération par exemple, le refrain n’était pas du tout celui qu’il est, il parlait de moi, de pourquoi je me sens différent, etc. Finalement, j’ai cherché un refrain plus rassembleur, un hymne à scander… J’avais plein de morceaux et j’ai dû en choisir quelques-uns pour raconter quelque chose : la violence.
Comment s’est passé le choix des titres ?
Il a dépendu de plein de choses : déjà, de titres que je voulais conserver pour le futur album, pour d’autres c’était évident, je voulais qu’ils sortent maintenant. Je voulais aussi un lien entre l’EP précédent et le futur album sans aller trop vite.
On dit parfois que la vérité est dure à dire, mais tes paroles semblent empruntes de vérité, de réalisme — je pense par exemple à une phrase dans Les Calmants : « Je crois que je n’ai même plus envie d’avaler mes calmants ». Qu’en penses-tu ?
C’est le genre de parole qu’on écrit parce qu’il faut absolument les sortir. C’est une écriture thérapie, quand ça ne va pas. J’ai commencé à écrire ainsi, pour me faire du bien à moi puis j’ai appris à écrire à d’autres moments, car ça ne va pas toujours mal. Au fur et à mesure, on écrit autrement, peut-être plus pour soigner les autres.
Dans Dégâts, tu nous racontes l’histoire de deux personnages principaux, peux-tu nous les présenter ?
Le premier et un garçon un peu délinquant qui est sur le point de faire une connerie, il ne se sent pas bien. Il appelle un ami pour demander de l’aide mais il lui répond qu’on à tous nos problèmes. On ne sait pas trop ce qu’il est arrivé à ce garçon mais on a l’impression que tout lui tombe sur la tête et il faut qu’il se calme avant la bêtise.
La seconde est plus transparente, c’est une femme avec une peine de coeur. Elle ne se sent pas bien, visiblement, elle a du mal avec les garçons et elle se dit que le problème vient sans doute d’elle. Le refrain lui rappelle qu’on est tous un peu nul en amour, que les choses sont dures, mais que d’autres vivent des choses plus compliquées.
Je trouve la chanson un peu candide, elle n’est pas drôle mais pas dure non plus. Je l’aime bien, elle est moins grave.
Tu finis par une reprise de Brigitte Bardot, Une histoire de plage, pourquoi ce choix ?
J’adore cette chanson et je parle de Brigitte Bradiot dans mon premier EP. C’est un peu une excuse aussi car justement je dis vulgairement que j’aurais bien aimé faire l’amour avec elle quand j’étais enfant — « Ouais, quand j’étais gosse j’aurais bien baisé Brigitte Bardot » (Jeune The Doug). C’était un clin d’oeil, un hommage avec une chanson dont j’aime beaucoup la mélodie, les paroles et la sérénité qu’elle inspire. C’est une balade qui apaise le tumulte de l’EP. C’est très aérien et léger.
Pour finir, cette pochette, très brute et violente elle aussi ?
Je souhaitais produire quelque chose de réaliste, même naturaliste. J’aime le cinéma qui raconte la vie lambda, parfois laborieuse de gens sans trop surjouer. J’aime les acteurs qui ont des tronches, qui ne sont pas trop beaux. Je voulais donc une pochette où on me reconnaît bien, avec mon visage en gros, et surtout ne pas être beau, amoché. Je voulais avoir le visage de la musique, être déformé, moche… Au début, on a réfléchi à des masques, et finalement, on a choisi d’accentuer les défauts du visages : les cernes, les poches, les rougeurs et du sang pour la baston du mauvais joueur.
Finalement, un homme un peu cassé à l’extérieur comme à l’intérieur dans ce qu’il présente dans ses titres ?
Oui, il y a un côté bagarreur attachant.
Retrouvez The Doug en concert à la Maroquinerie le 8 avril 2023.