Jeudi 3 février 2022. Arrivé de sa Franche-Comté natale, Lilian Renaud fait escale à Paris pour une opération promo. Il a prêté sa voix à L’héritage Goldman en collaboration avec le Chœur Gospel de Paris, album sorti le 21 janvier dernier. Toute l’équipe menée par Erick Benzi, le réalisateur mythique de Goldman, et Michael Jones, fait la tournée des médias pour défendre le disque. Ce soir-là, après l’enregistrement du Grand Studio RTL, je rencontre Lilian dans une brasserie, à Neuilly-sur-Seine, place du marché. Un peu à l’écart, dans une salle presque vide, dont le papier peint représente une bibliothèque remplie de livres, nous échangeons sur sa participation au projet Goldman mais aussi, et surtout, sur son quatrième album. Dans un moment de bonheur est sorti le 28 mai 2021. Lilian me raconte pourquoi, après sa victoire à The Voice et deux albums au sein d’un label, il a préféré l’autoproduction. Il me confie sa passion pour la musique américaine, son attachement à la nature, son mal des réseaux sociaux et quelques secrets de chansons.
Comment es-tu arrivé sur le projet de l’album L’Héritage Goldman ?
Un matin, sur Instagram, j’ai reçu un message du directeur artistique du projet, Michel Boulanger, qui travaille chez le label PIAS. Heureusement que j’avais regardé mes messages ! « Bonjour Lilian, comment puis-je te contacter ? As-tu un manager ? Il faut que je te parle d’un projet Héritage Goldman avec le Chœur Gospel de Paris. On voudrait te proposer de chanter. » Je l’ai directement rappelé ! Ça m’a tout de suite intéressé !
Entre « Gospel » et « Goldman », l’un des deux termes t’a plus attiré ?
« Chansons de Goldman » quand même ! Avec la touche gospel…
C’est toi qui as choisi d’interpréter Il y a et Fermer les yeux ?
Non. Au début, on m’avait proposé deux autres morceaux qui étaient plus up tempo, moins mon truc… J’étais au téléphone avec le réalisateur Erick Benzi et j’ai tout de suite dit que j’avais très envie de participer au projet mais que les chansons n’étaient pas mes préférées… Il a été compréhensif et m’a proposé ces deux chansons que je chante sur le disque. J’ai dit oui tout de suite !
À propos d’Il y a, Goldman a dit : « J’ai toujours été envieux de ces amis qui venaient de quelque part, ce qui leur donnait une force, des racines, un endroit où se réfugier. C’est une chanson sur cette sensation. » Tu aurais pu l’écrire !
Complètement ! Il y a tout : les accords, la mélodie… C’est une magnifique chanson que je chantais déjà à 14 ans. C’est l’une des premières que j’ai apprises.
Comment as-tu découvert Goldman ?
Grâce à mes frères. Ils étaient plus métal, rock, hard rock. Et au milieu de tout ça, il y avait Goldman. Alors qu’ils n’écoutaient pas de variété !
Qu’as-tu voulu raconter dans ton nouvel album Dans un moment de bonheur ?
Je ne sais pas si, avant d’écrire un album, on se dit qu’on va raconter quelque chose en particulier… Les thèmes viennent au fil de l’écriture. Je dis toujours que les chansons ne parlent que de la vie, des constats que je peux en faire et de ce qui me touche. Parfois, ce sera sur des sentiments plus personnels comme la peur, l’amour ou l’espoir, soit tout ce qui nous traverse. Ça parle de la vie.
Concernant ce qui te touche, certaines chansons (Des enfants au clair de lune, Combien d’airs, Hears us, Who do you love) frôlent l’engagement… C’est voulu ?
Oui. Enfin, je ne sais pas si c’est engagé. Combien d’airs parle du réchauffement climatique et Hears us parle des enfants de la rue dans le monde. Ça, ce sont des choses qui existent et me touchent. Des enfants au clair de lune, c’est un questionnement sur la méchanceté des hommes : pourquoi devient-on violent alors que l’on naît de l’amour d’un père et d’une mère ? On se pose tous la même question…
Who do you love est peut-être plus engagée car je parle de tolérance, de respect de la différence. C’est d’ailleurs évident dans le clip. Il faut ouvrir son coeur à tout le monde.
Penses-tu que l’art doive servir l’engagement ?
Non, je ne pense pas que ce soit une obligation. Si c’est fait avec sincérité, comme tout dans la vie, l’impact est là. Mes chansons auront un impact sur des gens et pas sur d’autres. C’est ça la vie : des énergies qui font qu’on attire un peu les mêmes gens que soi. Je me rends compte que, dans le fond, je suis assez similaire dans la façon d’être et de penser que les gens qui aiment mes chansons.
C’est un album que tu as fait de manière complètement indépendante, comme le précédent. Qu’est-ce que ça t’a apporté comme liberté ?
Ça apporte 100% de liberté ! Quand tu écris, en tant qu’artiste, ce qui est important, c’est que personne ne vienne mettre sa patte. Tu peux recevoir des conseils et les écouter, mais personne ne sait mieux que toi. Rien ne doit t’être imposé. C’est comme si j’allais sur le chantier de mon frère charpentier et lui disais de poser sa poutre autrement. À mes yeux, ça n’a aucun sens.
C’est ainsi que ça s’est passé lors de la création de tes deux premiers albums ?
Oui. Je me suis retrouvé dans des groupes de composition : j’étais dans une salle avec 6-7-8 personnes qui me promettaient qu’on allait m’écrire des chansons. J’étais ravi ! Finalement, il n’y a qu’eux qui écrivaient, ils ne m’écoutaient même pas jouer. Puis on se retrouvait avec un réalisateur dans ce studio qui plaçait lui aussi ses morceaux. Quand on connait bien le système, on sait qu’une chanson dégage beaucoup de droits d’auteur, ce qui explique que l’on travaille avec tous ces gens : ils essayent de gagner de l’argent. C’est humain ! Ils ne sont pas méchants, j’adorerais écrire pour les autres. Mais avec ma sensibilité, je n’ai pas besoin qu’on le fasse pour moi… Peut-être que c’est beaucoup d’égo, mais le plus important reste ma liberté artistique.
« Chez nous, il faut toujours que ça rime, que ça sonne bien.
Les Anglophones, eux, s’en fichent ! »
Y a-t-il des similitudes entre cette manière très artisanale de faire un album et ton ancien métier de fromager ?
Oui ! Ça correspond bien à ma personnalité. J’essaye de travailler comme un artisan. Ça va complètement avec les valeurs artisanales d’un métier de savoir-faire. J’ai un petit studio, une guitare, un piano, un micro et on fait tout comme ça. Je n’ai pas de musiciens qui viennent enregistrer. Attention, j’adore partager la musique, j’adore les autres musiciens. Mais quand il s’agit de mes chansons, je n’en ai pas besoin. Je ne dis pas que c’est définitif ! Peut-être qu’un jour faudra-t-il que je sois entouré mais là, je n’en ressens pas le besoin. Je suis né dans une famille d’artisans…
Que font tes parents ?
Ils travaillent dans une école de fromagerie. J’ai un frère charpentier, l’autre dessinateur,… J’ai beaucoup d’oncles paysans et bûcherons…
Même ton grand-père ! Tu en parles dans l’album…
Oui ! « The Willow ». J’ai toujours été dans une famille de paysans, ça fait partie de mes gênes.
À quel moment la musique arrive dans ta vie ?
Très vite car elle me berce depuis tout petit. Mes grands frères en jouent. Toutes les chambres de la maison ont une musique différente. C’est le bonheur d’une grande fratrie ! Mes frères m’ont emmené assister à des concerts assez tôt. J’ai commencé à chanter tout petit : je faisais du karaoké. Un jour, ma soeur m’a dit : « Tu as une voix, tu chantes bien ! » Je n’y croyais pas trop… Puis j’ai persévéré, j’ai voulu imiter mon frère à la guitare et c’est devenu mon métier.
D’où vient le fait de chanter en anglais ?
Des influences. Des chansons et des groupes que j’aime. Je suis plutôt branché culture américaine, country, celtique. Ils ne sont pas très connus mais, parmi mes influences, il y a Darrell Scott, Brett Young ou encore un groupe comme Mumford & Sons dans un autre univers. Eva Cassidy… Toutes les chanteuses de country qui ont une voix chaude. C’est une énergie qui me touche, tout comme la musique irlandaise !
Michael Jones dit qu’en anglais, le son a plus d’importance que les paroles…
C’est assez vrai.
Peut-on en déduire que lorsque tu écris en anglais, le son a plus d’importance ? Et en français que le texte prime ?
Oui. Pour les textes en anglais, je me fais aider par un ami anglais, Lee. J’écris en français et il essaye de m’aider à traduire pour que ça corresponde à mon intention. Je remarque qu’il aura tendance à être plus direct. Il ne cherche pas la métaphore, les figures de style, ni à écrire un poème… Chez nous, il faut toujours que ça rime, que ça sonne bien. Eux, ils s’en fichent ! Souvent, ça va donner des paroles plus sincères et cash.
En revanche, j’aime chanter en anglais, non pas pour le texte mais pour la liberté dans la mélodie, la maniabilité de la langue excellente à chanter. Je trouve que c’est l’une des plus belles langues pour le chant. Et c’est ce qui m’amène à mes influences folk, celtes…
On entend aussi des influences gospel dans tes disques. Es-tu attiré par le fait que ce soit un genre fédérateur ?
Oui, complètement ! Être chanteur gospel, ça vient de l’âme, du coeur. Ce sont des mélodies assez simples qui réunissent tout le monde. Quand on va dans une église avec un chœur gospel en Amérique, on en ressort en pleurs ! J’appelle ça des « musiques de la terre» : des musiques ancrées qui partent et vont quelque part.
Concernant tes chansons en français… Tu as des influences ?
Goldman ! J’aime énormément ses chansons. J’aime beaucoup Cabrel. Au sein de la nouvelle génération, il y a aussi des magnifiques talents ! Vianney, Slimane… Marina Kaye, elle a quelque chose de dingue vocalement.
J’aime m’inspirer de tout. Ce qui est important pour moi, c’est de respecter tous les artistes. Certes, il y a l’énergie, le coeur, mais avant tout, il y a le respect.
« Maintes fois, j’ai eu envie d’arrêter
car ça reste un métier difficile »
On retrouve beaucoup la nature dans tes textes. Et puis, dans « Valser chez les fées », tu chantes : « Prendre un peu de hauteur, sur la course au meilleur, sur les mensonges d’acteurs, faire taire les téléviseurs. ». Comment te positionnes-tu dans un monde matérialiste et où les réseaux sociaux sont omniprésents ?
Difficilement. Je suis assez sauvage, j’ai du mal avec tout ça. Les réseaux sociaux, ça ne fait pas partie de moi. J’essaye de les utiliser pour survivre dans ce monde médiatique pas évident. Mais ça permet d’avoir un accès direct avec le public. Donc je reconnais que c’est utile.
Tu as besoin de la nature pour écrire, composer ?
Oui, pas mal ! C’est un environnement inspirant. J’ai souvent besoin d’aller en forêt. Comme plein de gens !
Concernant les réseaux sociaux, je sais qu’il faut que je les utilise mais pour moi, c’est un petit poids. Le problème, quand tu fais de la musique et que tu veux en vivre, c’est qu’il faut la vendre. Pas mal d’artistes passent par les réseaux sociaux pour le faire. Par contre, même s’il y a plein d’artistes géniaux, certains prennent tout de suite de la distance quand ils se retrouvent face à leurs fans dans la vraie vie… Alors qu’ils leur donnent des prénoms sur Instagram !
Penses-tu que tu te serais senti plus à l’aise quelques décennies plus tôt ?
Oh oui ! J’utilise peu mon téléphone. Je pense que je suis très fainéant vis à vis de ça : faire une photo, la poster, tagguer les gens… Je suis nul pour ça !
Si tu avais la DeLorean de Marty McFly, où irais-tu ?
Difficile de répondre ! Nulle part en fait, je suis né là, point barre. J’ai ma famille…
Peux-tu nous raconter l’histoire de la chanson Au plus haut c’est toi ?
Dans le Doubs où j’habite, j’ai rencontré des gens devenus des amis, qui ont perdu un enfant. Il avait 25 ans, il s’est suicidé. J’ai vu la photo du gamin, c’était quelque chose de beau, il y avait une belle énergie. En voyant sa photo, je ne sais pas pourquoi, je me suis tout de suite dit que je voulais écrire une chanson dessus. Ses parents sont des gens proches de la nature. C’est pour ça que, tout au long du texte, j’ai essayé de faire vivre et naître leur enfant à travers la nature.
Ce qui est incroyable dans cette histoire, c’est que j’ai tourné le premier clip de l’album, Who do you love, devant une petite cascade : un endroit appelé « Les échelles de la mort », à Charquemont, un village du Doubs. Ma soeur m’a appris après coup que le garçon avait mis fin à ses jours à cet endroit. Dans la chanson Au plus haut c’est toi, je parle d’un aigle : « Et quand l’aigle se pose s’agrippant sur la cime/ Je revois dans ses griffes la force de tes mains ». À cet endroit, il y a un aigle protégé. Je ne le savais pas…
Les parents m’ont confessé qu’ils pleurent tous les jours en écoutant la chanson mais que ça leur fait du bien. Je suis content car c’est ce que je voulais : le faire vivre à travers la nature, comme s’il était encore là. C’est pour ça que j’ai modifié « Hosanna au plus haut des cieux » de la chanson religieuse en « Hosanna au plus haut c’est toi ». Pour le faire vivre partout.
Tu écris des chansons pour toi mais, est-ce que c’est aussi un peu pour les autres ? Tu te dis que ça pourrait aider quelqu’un ?
Oui. Je reçois du courrier presque tous les jours, de gens qui me disent avoir écouté mes chansons pendant leur chimiothérapie…
Maintes fois, j’ai eu envie d’arrêter car ça reste un métier difficile, même si c’est du bonheur de chanter. Et en fait, c’est ça qui me retient. Avec de si beaux témoignages, je me dois de garder ce petit truc que j’apporte sans aucune prétention. Si ça fait du bien à quelques personnes c’est bien. Et ça remplit mon égo car on en a tous un !
Peut-on faire ce métier sans égo ?
Non ! Je pense qu’on ne peut même pas vivre sans. L’égo, c’est de s’arrêter quand on se retrouve face à une falaise ! On ne continue pas de marcher… L’égo c’est la survie, tu es obligé d’avoir de l’amour et de l’estime pour toi pour pouvoir en donner. Ça me nourrit, il faut être honnête.
Quels sont tes projets pour la suite ?
Continuer à essayer de faire des concerts avec le 4ième album. Partir en tournée avec l’équipe de l’héritage Goldman puis travailler sur un nouveau disque. Je ne sais pas comment, ni avec qui… Seul, je pense. J’aime cette liberté de me demander ce que je vais faire… J’ai plein d’idées !
Lesquelles ?
Faire un album avec un choeur gospel par exemple ! J’y avais déjà pensé avant le disque Goldman. Pour l’instant je suis seulement dans l’écriture.
Je rêve d’aller enregistrer un album country en Amérique avec des musiciens de country. Arriver avec des chansons et faire deux mois de studio là-bas !
En fait, je rêve d’exporter ma musique. À commencer par l’Angleterre. Puis le Canada, l’Amérique, l’Irlande, les pays du nord… Ici je me sens un peu étouffé. Pour ça il faut une équipe. J’aime faire ma musique seul. Mais ensuite les artistes ont besoin de plein de gens pour le reste… Seul, on ne fait rien.
Lilian Renaud et l’équipe de L’Héritage Goldman seront en concert le 25 septembre 2022 à L’Olympia à Paris, puis à Amnéville, Strasbourg, Dijon, Montbéliard, Chambery, Cournon, Marseille, Lyon, Nice, Montpellier et Saint Herblain en 2023.
En attendant, Lilian Renaud poursuit sa tournée pour l’album « Dans un moment de bonheur » :
Le 26 février 2022 à Dole (39)
Le 16 avril 2022 à Sausheim (68)
Le 14 mai 2022 à Nancy (54)
Le 10 juin 2022 à Luxembourg
Découvrez Combien d’airs le dernier single de Lilian Renaud :