Quelques jours après l’Olympia nous avons rencontré le groupe Kolinga à la terrasse d’un café parisien. Les deux artistes nous ont parlé d’eux, de leur album, leur single et leur tournée.
Bonjour Kolinga, pouvez-vous vous présenter pour nos lecteurs ?
Arnaud : On est le duo Kolinga avec Rebbeca M’Boungou au chant, et moi, Arnaud Estor, à la guitare. On est un duo atypique puisque l’on utilise des loopers sur scène. Ils nous permettent de monter plusieurs instruments comme des guitares, des basses, des beatboxs pour ma part; et plusieurs voix, des lignes de claviers, des percussions pour Rebecca. Cela nous permet d’avoir un projet à deux, mais d’avoir l’impression qu’on est six ou sept sur scène.
Quand vous êtes-vous rencontrez ?
Rebecca : On s’est rencontré il y a 4 ans pour jouer les premières notes de musique ensemble. Au bout de deux rencontres musicales on avait déjà pas mal de morceaux et on a décidé de monter un répertoire. Le groupe s’est vraiment lancé lorsqu’on a gagné le tremplin d’un festival qui s’appelle Africajarc, dans le Lot. C’était la plus grande vitrine des cultures africaines en France … Ce festival est devenu notre tourneur, puis ça a été la directrice du festival. Cela nous a permis de nous propulser car on s’est retrouvé directement dans un réseau professionnel ; dès la première année on a trouvé notre intermittente grâce à ce groupe. Ça nous a aidés à aller vite. Depuis, beaucoup de choses se sont passées.
Rapidement …
Arnaud : Oui, même très rapidement.
Rebecca : On avait l’impression de toujours chercher à rattraper le temps. On avait des belles opportunités, et on était pas toujours prêt à les assumer. Du coup, on travaillait énormément par rapport aux amis musiciens qu’on a; on passait des heures et des heures à répéter pour toujours être à la hauteur de ce qu’on nous proposait. C’est ça aussi qui nous a boosté !
Arnaud : Il y avait toujours des échéances qui étaient plus grandes que ce qu’on pouvait attendre sur le moment. Il fallait redoubler de concentration, de répétitions et de professionnalisme pour faire ce qu’on attendait. C’était vraiment chouette.
Kolinga signifie aimer, vouloir, désirer en lingala. Pourquoi ce nom ?
Rebecca : Kolinga signifie bien aimer en lingala, mais si on écrit l’accent sur le i cela veut dire lier, encercler. Comme on utilise des loopers sur scène cela donne un effet transique à notre musique. C’est cette idée de spirale qui me caractérise…
Vous nous présentez aujourd’hui « Kongo » votre dernier single, pouvez-vous nous raconter son histoire, sa création ?
Rebecca : J’ai écrit le texte il y a trois ans. Mon père est congolais, j’ai des racines là-bas et j’y suis allée plusieurs fois dont la dernière fois en 2010. Il y a trois ans, il y a eu les élections au Congo Brazzaville, les événements n’ont pas été très heureux. Le peuple a montré son mécontentement face au président qui est là depuis plusieurs années et qui est clairement un dictateur. Je me suis sentie proche de ce peuple qui dépassait sa peur et se révoltait. Cela m’a fait me poser des questions sur cette double-culture que j’ai sans avoir vraiment vécu là-bas. Je me sentais proche d’eux et je me demandais quel rôle je pouvais jouer pour ce pays qui est aussi le mien. Quand j’ai écrit ce morceau, j’ai pensé à Gaël Faye, j’aime beaucoup son écriture; il a une vision sur la double-culture qui est très intéressante. Je suis fan de lui depuis son premier album de 2013, « Pili-Pili sur un croissant au beurre ». J’ai pensé à lui en écrivant ce premier titre en français et la vie a fait que nous avons réalisé ce morceau avec lui. C’est juste magique.
Vous avez déjà joué au Congo ?
Rebecca : Oui, mais pas du tout avec Kolinga. Les premières scènes que j’ai faites étaient au Congo, à Brazzaville. J’ai joué beaucoup de musique là-bas, c’est bien plus spontané; j’étais toujours avec des musiciens et on s’installait au bord du fleuve, ou en ville. Pour les concerts, il suffit d’avoir une sono avec un son un peu pourri dans une parcelle, et on s’organise. Ça m’a pas mal formé à la scène et à l’adaptabilité.
Comment s’est passée votre rencontre avec Gaël Faye ?
Rebecca : Quand j’ai écrit Kongo, j’avais le texte, la mélodie, une ligne de guitare et je l’ai donc soumise à Arnaud. On a développé la composition et l’arrangement tous les deux. Quand on a eu la première maquette j’ai décidé de l’envoyer à Gaël, sans le connaître. Cela me paraissait fou et évident. Peu de temps après il nous a répondu : je me rappelle, on était chez Arnaud comme des fous.
Arnaud : La maquette n’était vraiment qu’une pré-maquette. L’enregistrement était très old-school, très archaïque.
Rebecca : On l’a fait dans son garage. C’était il y a deux ans et demi, avant d’enregistrer notre premier album. Quand on a enregistré notre album on a dit à Gaël qu’on aimerait qu’il soit sur ce morceau. Il a dit oui; on lui a donné nos dates d’enregistrement et entre-temps il a eu le prix Goncourt des Lycéens… Il nous a alors envoyé un mail pour nous prévenir qu’il était désolé mais qu’il enchaînait les rendez-vous et qu’il n’avait plus le temps. Puis il est venu en concert dans notre région. On a eu la chance de faire sa première partie et de le rencontrer. Il se rappelait bien de nous, c’était formidable. On l’a recroisé entre-temps, mais on avait déjà enregistré notre album et le morceau sans lui. On savait qu’on voulait clipper Kongo, donc on lui a proposé et il nous a dit en nous regardant dans les yeux : « je vais le faire ». Du coup il a été sur le clip et c’était magique. Tout s’est fait en deux ans, on n’a pas perdu espoir et ça a marché. LA preuve, ça nous a même emmenés à l’Olympia, qui l’aurait cru …
Comment se sont passés le tournage du clip et sa scénarisation ?
Rebecca : Ça nous a pris six mois de cette année. Les bonnes choses sont tombées au bon moment et on a su les saisir. On a fait un coup de bluff tout en y croyant très fort, c’est-à-dire qu’en janvier dernier je suis montée sur Paris pour que Gaël puisse enregistrer son couplet, et je savais qu’il venait jouer dans notre région en avril. Je lui ai donc demandé s’il pensait pouvoir venir jouer dans notre clip à ce moment-là. Il m’a dit oui, mais on n’avait rien fait pour le clip. En quelques mois on a dû préparer un clip entier. On devait s’adapter au planning de Gaël qui est sursollicité. On a conceptualisé le clip en très peu de temps. Les contraintes qu’on avait nous ont permis de faire quelque chose d’original : on savait que ça devait être en intérieur, on a appelé Arno Mamy pour la scénographie pour créer l’univers. On souhaitait avoir des tableaux significatifs. On a coréalisé le clip avec Arnaud ainsi que Fred Prat qui a réalisé les images. On a fait tout de A à Z : prendre les billets de train, choisir le lieu, recruter les gens.
Arnaud : C’est de l’artisanal.
Rebecca : Oui, avec beaucoup d’humilité, mais on en est très fier car c’était un combat pour faire cela.
Arnaud : On a eu une très chouette équipe qui nous a entourés. Les gens étaient là sur les deux jours de tournages; ils étaient présents, et c’était important pour nous. Ils ont tous su être là sur un planning très serré.
Rebecca : On avait deux jours de tournage avec une plage horaire de deux heures avec Gaël.
Arnaud : Il fallait que le moment où Gaël soit là, la plateau soit disponible et que deux heures après ça soit dans la boîte pour lui. Les gens ont vraiment donné de leur personne pour faire cela. C’était un gros challenge qui a été réalisé.
Rebecca : Il s’est passé de très belles choses sur le plateau, c’était très émouvant. On n’a pas pu mettre tout dans le clip mais les danseurs ont fait des performances magnifiques.
Votre album, Earthquake, sortira en janvier prochain en version Deluxe, que nous réservez-vous ?
Arnaud : Ce qu’on voulait vraiment mettre c’était la version de Kongo avec Gaël qu’on n’avait pas pu mettre sur le premier. C’était notre plus grosse envie. Ensuite, on a d’autres morceaux qu’on voulait rajouter et qu’on n’avait pas eu l’opportunité de faire auparavant. C’est un peu la suite avec des gros bonus qui viennent s’ajouter derrière.
Rebecca : C’est vraiment une continuité, ce ne sont pas des morceaux qui s’insèrent dans un second album, on y travaillera plus tard. Ce sont des morceaux qui sont rattachés à Earthquake. On fait aussi une sortie vinyle qu’on n’avait pas fait avant. Comme nous sommes des grands amateurs de vinyles ça nous tenait à coeur.
Arnaud : C’est un petit regret qu’on avait de ne pas pouvoir sortir un vinyle financièrement; là, c’est le gros plus pour nous.
C’est un album très éclectique, vous y parlez en français, en anglais, en lingala, les univers sont très différents, vous vouliez cette symbiose des cultures ?
Rebecca : Oui c’est une volonté mais elle n’est pas réfléchie. Pour le second album j’aurai une autre démarche : je vais plus me dire quel style j’ai envie de faire sur chaque morceau. Ici quand j’avais des idées de textes, de morceaux ou qu’Arnaud m’apportait des mélodies, c’est quelque chose qui venait de nous de manière complètement brute. A aucun moment on ne se disait si on allait faire du jazz ou autre. C’est ce qui sortait directement de nous, de notre rencontre. On a fait ce qui est sorti de nous : rien n’avait été verbalisé.
Arnaud : On n’avait pas de ligne directrice…
Rebecca : C’est aussi le principe de cet album-là : c’est juste le jet qui est sorti. Quand on a écouté l’album finit, on s’est nous-mêmes dit : « ah oui ça donne ça ». On n’a pas voulu le façonner sur une image prédéfinie.
Arnaud : Notre fil conducteur c’est forcément cette espèce de fusion musicale entre Rebecca et moi. Ça sonne toujours Kolinga ; mais il peut y avoir des styles différents. C’est une couleur de groupe.
Rebecca : De même pour les textes, quand je pense à une chanson, je ne pense pas à la langue d’abord. Je sais en quelle langue je vais parler en écrivant.
Votre album parle d’amour, de société, d’avenir et de cultures. Ce sont des sujets qui vous inspirent et vous touchent ?
Rebecca : Tout est matière à écrire… mais c’est vrai que dans cet album il y a cette ligne directrice. L’album s’appelle « Earthquake », donc tremblement de terre. C’est un thème global qui montre qu’on vit dans un monde où les sociétés s’écroulent. Chacun essaye de trouver sa place dans ce chaos atroce qui se passe et en même temps à échelle humaine de très belles choses se passent. Il faut retrouver ces valeurs simples et essentielles dans ce chaos. On souhaite diffuser de l’amour et de la lumière, même si certains thèmes sont plus sombres et intérieurs. L’idée c’est que ça fasse du bien, autant à faire qu’à écouter.
Quelles sont vos influences musicales ?
Arnaud : C’est une question difficile pour moi… j’ai beaucoup d’influences. Forcement, j’ai une grosse culture jazz; je suis aussi venue à la musique par le rock et par la fusion hip-hop métal que j’aimais beaucoup à l’époque et qui étaient à la mode. J’ai aussi été influencé par la musique mondaine pendant quelques années. J’avais cette double culture musicale. Puis je suis arrivée au jazz français, au jazz manouche de Django Reinhardt. Cela m’a permis de découvrir ce qu’on appelle aujourd’hui « la musique du monde » même si ça ne veut pas dire grand-chose. Je suis arrivé ainsi à la musique latine, à la salsa, aux musiques hongroises, moldaves, tous les pays de l’Est. Tout ce qui est musique improvisée m’attire énormément. Ce sont mes influences principales; après j’aime beaucoup la black music.
Cela vient aussi de votre formation ?
Arnaud : Oui, elle n’a pas été dirigée, elle s’est faite en fonction des choses qui m’ont plu. J’ai suivi des cours de jazz après avoir découvert cette musique. J’ai ensuite commencé à faire de la musique argentine avec un groupe basque, ce qui m’a fait commencer à relever des morceaux de ce style. Puis je suis parti pendant un an dans un cirque faire de la musique tsigane; du coup, j’ai baigné dedans afin de m’imprégner du style. J’ai accompagné une très grande violoniste qui jouait exclusivement dans ce style-là et qui était donc très performante. Ma formation dans les styles se fit toujours par nécessité. J’étais obligé de forcer le travail pour rentrer dedans.
Rebecca : Mes influences ont été surtout par rapport à des chanteurs, je suis une très grande fan des icônes comme Michael Jackson ou Stevie Wonder. Je suis fan depuis enfant et je ne m’en lasse pas aujourd’hui. Stevie Wonder est vocalement pour moi le maitre : j’ai l’impression qu’il a de la lumière dans la voix. J’ai beaucoup écouté ces icônes mais aussi beaucoup de styles différents en appréciant particulièrement les chanteurs plutôt que les chanteuses. Ce n’est pas réfléchi mais c’est véridique. Après la culture congolaise avec des chanteurs comme Papa Wemba ou Lokua Kanza. Ma mère et mon père ont fait de la musique là-bas donc j’ai eu ces influences-là malgré moi. C’est principalement la black music américaine et la musique africaine comme la rumba congolaise ou le soukous. J’ai aussi appréhendé la musique par la danse puisque j’en ai fait beaucoup comme la danse congolaise avec les rythmes traditionnels. J’ai une approche de la musique très rythmique. Ma formation a été de m’enfermer dans ma chambre pour reproduire les voix des chanteurs. J’ai eu une époque de mon adolescence où j’écoutais du RnB, que je n’assume pas vraiment aujourd’hui (rires), avec des vibes qui ont été très formatrices vocalement parlant. Les mecs chantaient à en faire une indigestion de vibes et en tant qu’adolescente qui reproduit c’est un super apprentissage. Ça m’a permis de maitriser ma voix comme je le fais aujourd’hui même si j’ai encore beaucoup à apprendre.
Vos parents sont musiciens, Rebecca, cela vous a-t-il influencé dans votre choix de carrière ?
Rebecca : Pas forcément. Ma mère n’est pas musicienne de métier, elle a eu une carrière au Congo-Brazaville après avoir été institutrice. Elle a découvert un groupe qui s’appelle Banima (qui est aussi une très belle influence pour moi), et lorsqu’elle les a vus à Paris à une vingtaine d’années elle a voulu aller dans leur pays. Elle est allée à Brazzaville avec une amie, elles se sont fondues dans la culture congolaise et elles ont monté un groupe de danse traditionnelle et de chant. C’était les premières blanches à chanter et danser les danses traditionnelles du Congo. Elles ont été de suite connue : elles sont passées à la télé, elles ont fait des tournées africaines. Mon père était aussi une vedette on l’appelait le « Papa Wemba du Congo Brazzaville ». Il avait une voix iconique, on le reconnaissait dans la rue … Cela a été une influence, c’est sûr, la musique était toujours présente chez nous que ça soit chez mon père ou chez ma mère. La musique a toujours pris une grande place dans ma vie sans que j’y réfléchisse. Ma mère, française, m’a enseigné la culture congolaise en m’y emmenant et en donnant des cours de danse. J’ai été baignée dans cette culture à travers ma mère. Quand j’ai choisi quoi faire de ma vie, je ne pensais pas en faire mon métier. C’était omniprésent en moi, je ne pensais pas arrêter mais je ne voulais pas non plus en faire un métier. Je n’avais pas d’exemple autour de moi qui me montrait qu’on pouvait en vivre facilement. J’ai fait des études d’audiovisuel, ce qui m’a permis de prendre tout de même une voie créatrice. L’année où j’ai contacté Arnaud pour faire le groupe ça m’a rattrapée, je me suis dit que j’avais fui alors que c’était évident et que ça me rattrapait toujours. Je me suis dit que je pouvais essayer en ayant une vingtaine d’années. On a essayé et ça a marché … (rires).
Vous venez de réaliser un concert en première partie à l’Olympia ? Émus ?
Rebecca : Je ne sais pas si on a réalisé.
Arnaud : Magique, clairement. Forcement c’est un endroit qui a un nom mythique sur lequel on ne croit jamais arriver. Il y a autant de pression que d’envie de le faire. C’est tellement frais qu’on ne le croit pas encore. C’était très émouvant, Gaël a été vraiment présent jusqu’au dernier moment avant de monter sur scène. Il est venu nous booster et on a compris qu’on avait cette place à se faire comme première partie. C’est comme un petit nuage dont on redescend tout doucement. Dès que je vois la publication avec les lettres rouges, qu’on a vues cent mille fois avec d’autres noms, et là on voit le nôtre dessus, ça fait bizarre. C’est fou. La montée sur scène sera gravée à vie. On se met devant le micro et on voit cette fosse remplie.
Rebecca : On a d’allers eu un chouette accueil sur scène. Quand on est entré les gens ont applaudi, ont crié. On n’arrive pas à réaliser, à se dire qu’on a réellement notre place ici. Les gens savaient qu’on était en première partie et ils ont été très chaleureux. Le public a été présent, généreux, réactif. Gaël n’a pas arrêté de nous remercier, c’est très beau; en plus, c’est lui-même qui nous a invités sur cette date et non une négociation de tourneur. Ça c’est passé d’artiste à d’artiste, d’humain à humain. Il est venu nous faire un câlin avant de monter sur scène et cela signifie qu’on avait notre place ici. C’était incroyable. On a fait la première partie mais aussi le rappel de son concert pour faire « Kongo » avec lui. Tout était filmé en direct sur Culture box; on n’a pas regardé le live encore… On va le faire tranquillement, quand on va croire que ce n’était qu’un rêve (rires). Mais apparemment les images sont super belles … On a eu un double cadeau d’avoir pu porter ce morceau jusqu’à l’Olympia avec lui …
Où pouvons-nous vous retrouver prochainement ?
Si on peut prendre notre train on sera sur la Scène Nationale de Bayonne le 8 décembre puis à Toulouse le 13 décembre et à Saint-Martin-de-Caralp le 14. Ce sont les trois dernières dates de l’année. Pour 2019, on n’a rien de confirmé; mais tout se prépare en sous-marin pour repartir sur les routes…