Echange avec Brisa Roché et Fred Fortuny sur leur album commun Freeze Where U R

Brisa Roché et Fred Fortuny 2021

Crédits Christophe Crénel

A l’occasion de la sortie de Freeze Where U R, (ici FWUR) un album commun, la chanteuse californienne Brisa Roché et le pianiste Fred Fortuny, nous parlent de leur projet.

FWUR est un très bel album, coloré, varié et plein d’énergie. Les styles, les tons, les univers musicaux s’y croisent, s’y rencontrent, s’entremêlent pour donner vie à un opus mélodieux. Certes c’est un boulevard d’influences, mais une identité émerge de ce tout pour le rassembler. Entre le piano de Fred et la voix de Brisa, un équilibre se crée, qui balancent d’un côté puis d’un autre avant de revenir à sa position initiale. Comme le rappelle son titre, ces morceaux sont une pause dans le temps, qui nous permet de mieux l’apprécier et d’en profiter davantage. Le temps est suspendu, mais pas l’endroit ou nous sommes. Ce disque c’est aussi un voyage de l’esprit qui nous porte là ou notre imagination nous mène.

Brisa est chanteuse et peintre. Américaine, elle vit en France depuis plusieurs années. En l’écoutant on devine un accent. Assez léger pour l’oublier, assez audible pour nous surprendre le temps d’un mot, perdu dans le flot d’une réponse.

Fred est pianiste, français. Plusieurs projets à son compte, il parle de l’album avec ferveur et précision. Sobre dans son style comme dans ses paroles, lui et Brisa se complètent.

Je suis accueillie dans un bel appartement de Paris dans le quartier populaire de Barbès, juste assez grand pour pouvoir respecter la distanciation. La décoration est assez sobre avec des touches de couleurs. A l’image du style de celle qui y demeure. Spacieux, confortable, lumineux. Un peu bruyant sans que ce soit gênant ou fatiguant.

Nous sommes tous attablés, le chat monte deux fois sur la table au début de l’interview. Il marche sur mes feuilles et boit dans mon verre. Fred finit par le faire descendre.

Après quelques instants, une fois que tout le monde est prêt, je pose ma première question.

 

  • Vous vous fréquentez depuis plusieurs années, pourquoi faire un projet commun maintenant ?

 

Fred : On se connaît depuis 2007. On n’a cessé depuis qu’on s’est rencontrés d’essayer de faire des projets qui ont toujours été avortés parce que c’est facile de faire une chanson, mais c’est hyper dur de monter un répertoire. Un album tu mets toujours une année pour le faire, même si tu vas très vite au début. Y a toujours un moment donné où tu cales.

Brisa : Surtout si tu as d’autres projets en cours.

Fred : Oui, chacun a ses petites affaires personnelles, tu entrecoupe tout ça et les projets s’arrêtent, avortent. Donc depuis qu’on se connaît, ce projet qui aboutit, pour lequel tu es là aujourd’hui c’était la troisième tentative. La première devait être en 2010 si j’ai bonne mémoire. Mais ce qui est intéressant c’est que sur cet album, c’est qu’il y a des réminiscences de tout ça.

Brisa : Il y a des traces du passé, non pas seulement dans notre façon d’écrire ensemble qui doit être naturellement nourrie de toutes ces années où l’on s’est compris.

 

  • Au travers de FWUR il est notamment question des technologies qui, à vous en croire, nous asservissent tous plus ou moins et dénaturent les vrais rapports, les vraies rencontres, de ce point de vue là, comment vivez-vous le confinement qui nous oblige à communiquer virtuellement ?

 

Brisa fait une différence entre mails et live Stream qu’elle n’apprécie absolument pas. Ainsi que le social Networking que les artistes sont contraints de gérer.

« Depuis une quinzaine d’années les devoirs virtuels de l’artiste ont été multipliés à un point difficile à gérer et le confinement n’a pas aidé. »

Elle ne trouve pas le streaming valorisant. Pour elle les technologies sont présentes dans le quotidien des artistes à un point où ça en en devient futile. La pression de l’auto-promotion est forte.

 

  • La nécessité de se détacher des écrans et du virtuel dans une époque qui les généralisent est un thème très présent dans votre album (Blue light, Don’t Want a Man, ). Est-ce un sujet auquel vous aviez déjà pensé par le passé ou a t-il fait surface suite à la pandémie et nos nouveaux modes de vie ?

 

Leur génération a subi la technologie. Eux en ont souvent marre. Les paroles et le sujet de l’album étaient présents dés février 2019 donc la pandémie ne les a pas influencés dans leurs choix. La pression d’exister dans les lives vidéos (streams) s’est fait davantage ressentir pendant le confinement. Brisa trouve ça « banalisant, sans magie » de faire des concerts virtuels, mais en a accepté car en partenariat avec certains demandeurs. « Ca ne correspond pas à l’idée de mon art » dit-elle. Selon Brisa, c’est frustrant même si aujourd’hui ils rêveraient tous les deux d’en faire. Faire des lives streams voudrait dire « réduire leur musique », leurs instruments et le nombre de personnes à l’écran ou sur scène. « On défend une musique généreuse » ajoute Fred.

 

  • Brisa vous dites avoir une créativité instinctive, mais vous vous inspirez également du recul que vous avez sur la vie. Et lorsque vous deux présentez l’album, vous parlez d’une volonté de le faire sonner à la fois vintage et ultra moderne. Est-ce que cet album s’inscrit dans une époque ? A t-il une temporalité ?

 

Le fait que ce soit un album implique que les morceaux soient reliés par plusieurs choses. Pour Brisa c’est un album concept, comme dans les années 70, mais avec une touche plus électro des années 30 ou 70. L’album est coloré années 70. La temporalité de l’album était un sujet de désaccord entre les deux artistes. Ils se sont inspirés des années 70 mais ne voulaient pas pour autant faire du vintage. Ils ont voulu le faire sonner seventies mais également un album « qui vit dans son époque ». Leurs collaborations d’avant les ont aidés car ils s’en sont inspirés.

« Parfois on ne savait pas trop comment faire au niveau des sonorités. On équilibré le vintage et le moderne en rajoutant de l’électro et du synthétiseur pour que ça sonne plus actuel. »

Fred : « C’est de l’ordre de la tentative mais la musique ce n’est que ça ! »

 

  • Le visuel est très important pour vous, qui travaillez parfois pour le cinéma, toujours à travers la musique et Brisa vous êtes également peintre. Une esthétique se dégage de l’album, rien qu’à l’écoute des morceaux qui sont très imagés, presque picturaux. Sur la pochette, le vert souvent associé à l’espoir est très présent. L’espoir fait-il partie des messages que l’album voudrait susciter ?

 

« On a pris plus de temps à préparer la pochette de l’album que l’album lui même ! » plaisante Fred.

« Quand tu fais de la musique il y a forcément de l’espoir. » s’accordent-ils.

Il y a peut-être un peu de cynisme dans les paroles mais ça s’annule ou s’équilibre avec la « candeur » des mélodies.

 

Pochette Freeze Where U R 2021

Crédits Christophe Crénel

 

  • Fred, de part votre position de pianiste, vous pourriez être en retrait par rapport à Brisa qui en tant que chanteuse est plus facilement mise en avant. Cependant ce projet est commun et à l’écoute, on entend clairement le piano, presque autant que la voix. Sur la pochette, vous êtes bien visible mais à l’arrière tandis que Brisa est au premier plan, au volant. Pourquoi ce choix ?

 

Fred : « Bon c’est vrai que le chanteur c’est plutôt celui ou celle qui est devant, il faut bien qu’il y ai quelqu’un. C’est normal, la pop musique c’est comme ça. »

Brisa : « C’était son idée la voiture et le fait que je conduise et personnellement j’ai bien aimé. Mes aspects féministe et engagé ont joué aussi. »

 

  • Pop, folk, jazz, on ne sait pas si cet album est l’un des trois ou tous à la fois. Bien que cohérents dans leur composition, les morceaux sont très différents les uns des autres. En terme de création aviez-vous au delà de vos inspirations (Carole King, Linda Rondstat, The Mamas and Papas, …) une ligne directrice pour le ton de l’album ou était-ce instinctif ?

 

Brisa : « C’était instinctif mais nourri de nos goûts et de nos collaborations passées. On a aussi constaté que ça prenait au fur et à mesure des directions différentes. »

« Et moi (Fred) les inspirations que tu cites je les écoute depuis 20 ans tout le temps. Et il se trouve que c’est la culture de Brisa. Elle est née là bas, à une époque où cette musique était à la mode, ses parents écoutaient ça, elle a été bercée par ça, donc elle n’a même pas besoin d’en écouter. C’est son ADN. Moi ça a été un apprentissage et une découverte. »

Brisa : « D’ailleurs, ce qui était étonnant et émouvant pour moi en recevant ses instrumentales c’était d’ouvrir ma bouche et que les mélodies sortent de moi pleinement formées, et que ça me rappelait aussi cette musique que j’ai écouté dans mon enfance sauf que ça sortait de ma bouche. J’avais deux rôles en même temps. J’étais et la chanteuse et l’enfant. Ca me donnait une espèce de frisson, ce qui est rare. Ses instrumentales ont fait sortir ces voix de moi sans réflexion aucune. »

Pour Last Song, Brisa lui a renvoyé les instrumentales avec sa voix en quelques heures et ils étaient tout de suite d’accords : « ça fait James Taylor ! »

Ils enregistrent de chez eux pour des raisons d’investissement trop lourd en studio. Il y a moins de pression artistique à enregistrer seul chez soi que dans une cabine devant un ingénieur son.

 

 

  • Vous êtes deux amis, collègues de longue date. Quel était l’état d’esprit de ce travail et partage de talents pour la conception de FWUR ?

 

Brisa : « Il y a des projets où je suis plus dirigeante mais là je voulais vraiment qu’il se retrouve aussi sur ce projet. J’ai senti que c’était important pour lui de marquer quelque chose avec cet album à ce moment là. Ca a rendu ce projet spécial. »

 

  • Toutes les chansons sont en anglais mais les visuels sont tournés en France. On balance d’un moment à l’autre entre Etats-Unis et France. Fred vous disiez vouloir faire depuis longtemps un album « très américain ». Si cet album devait avoir une nationalité, quelle serait-elle ?

 

L’équipe entière de la création de l’album est française et belge, tous les membres sont européens à part Brisa et Sal Bernardy. Bernardy fait quelques voix masculines sur le projet. FWUR c’est la planète Fred et Brisa. Ou un monde à la fois West Coast et parisien.

Pour finir, Brisa précise avec amusement : « Mes parents qui ont grandi avec Woodstock et qui ont été imbibés de musique toute leur vie, n’ont pas fait le rapprochement entre le rock californien des années 70 et notre album. »

Une fois le micro débranché et les remerciements terminés, l’échange prend fin.

Brisa Roché Fred Fortuny 2021

Crédits Christophe Crénel

J’espère que cette conversation vous aura permi de saisir la qualité apportée et le travail fourni sur Freeze Where U R sorti le 5 février, et surtout qu’elle vous aura donné envie de le découvrir. Bon voyage !