Entretien avec Fredrika Stahl

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C’est à l’occasion de la sortie du documentaire « Demain » de Mélanie Laurent & Cyril Dion que j’ai eu l’occasion de rencontrer Fredrika Stahl qui a signé l’ensemble de la bande originale du film.

Assez fan de son travail depuis plusieurs années (vous pouvez lire mon live report de son dernier passage au Café de la Danse ici), j’étais très curieux de la découvrir dans un nouveau registre. Disponible depuis le 27 novembre sur supports physiques (mais uniquement en digital pour l’EP de 6 titres comprenant uniquement les chansons), la bande originale est composée de pas moins de 17 titres dans lesquels on retrouve l’univers si particulier de Fredrika Stahl.

Adorable, elle a accepté de répondre à toutes mes questions et de révéler les détails de cet album.

C’est aussi stressant de sortir une bande-originale qu’un album solo ?
C’est la première fois que je le fais, mais j’ai quand même l’impression que je suis plus stressé lorsqu’il s’agit d’un album solo. J’ai vraiment fait quelque chose sur mesure pour le film par rapport à la demande du réalisateur tout en ayant eu beaucoup de liberté, donc j’ai quand même la sensation de sortir un album quelque part, mais c’est différent de la sortie d’un album solo.

Il y a des chansons que vous allez éventuellement reprendre pour la scène ?
Oui, je pense.

Mais elles ne seront pas forcément sur un album solo ?
Peut-être qu’elles le seront, mais c’est bizarre de mettre des chansons qui sont sur un autre album, je ne sais pas. Pour certaines chansons, je me rappelle qu’au moment où je les ai écrites, je me suis dit « si celle-là ils ne la veulent pas, je la garde pour moi ! ». Je ne me suis pas dit ça pour toutes les chansons, parce qu’il y a des chansons qui sont vraiment écrites spécifiquement pour le film, mais d’autres sont un peu moins littérales.

Justement, est-ce qu’il y a des chansons qui ont été refusées ?
Tout est passé (rires) ! Enfin si, à un moment y’a une chanson qui a été enlevée parce que le film faisait 3h au début, c’était trop long, ils ont donc coupé des parties. C’était assez stressant, parce que j’avais écrit 20 tracks à ce moment-là, ce qui est beaucoup pour moi, quand je fais un album, je n’écris pas autant. Je me suis dit que ça allait être dur, car ils allaient enlever plein de chansons, mais ils ont plutôt coupé dans les dialogues, il y a juste un instrumental qui a sauté. Après par contre, j’avais des retours, par moment on m’orientait, on me demandait des modifications, etc, mais il n’y a jamais eu de refus.

Vous avez écrit les 17 titres seule, c’est balèse.
Au début je pensais écrire un thème qui allait revenir tout au long du film, mais il n’y a pas un seul truc qui revient. À chaque fois ils voulaient des thèmes différents, je me demandais quand ça allait s’arrêter. À la fin j’étais à 19 thèmes, j’en ai enlevé 2 un peu indigestes sur l’album, mais il n’y a pas de thème récurrent.

Sur combien de temps s’est déroulée la composition ?
J’ai écrit la première chanson fin aout 2014 et j’ai terminé le mix en juillet 2015, donc presque un an finalement.

Comment avez-vous entendu parlé du projet ?
Ça fait très longtemps que j’ai envie de faire de la musique de film, et lorsque j’ai fini la tournée de mon dernier album j’ai demandé à mon éditeur pourquoi il ne me parlait d’aucun projet. Il m’a dit que c’était très compliqué de faire son premier score, car c’est difficile de trouver des personnes qui vont te faire confiance sur ton premier projet de musique de film. Néanmoins il avait entendu parler de ce projet en cours, il m’a dit qu’ils cherchaient de la musique. Il m’a juste montré le teaser qui était sur kisskissbankbank pour lever des fonds et il m’a dit « si tu veux, tu peux essayer d’écrire un truc ». Je pense que ça reste la meilleure manière de faire, car ça montre que tu es motivée, que le projet t’inspire, etc. Au final ça m’est venu très vite, j’ai fait la chanson, je l’ai envoyée à mon éditeur qui m’a dit que ce n’était pas du tout ça, mais que comme elle était jolie, on allait l’envoyer quand même. Franchement j’ai eu de la chance de tomber sur Cryil et Mélanie parce qu’ils m’ont fait confiance. J’ai écrit beaucoup de chansons avant qu’ils me disent « OK, on y va », mais ils l’ont fait.

Vous n’êtes pas non plus inconnue, vous avez une belle carrière.
Oui, mais pas dans l’instrumental. D’ailleurs je ne pense pas que ça se passe comme ça d’habitude avec les réalisateurs, parce que c’était très fluide. Des fois j’avais une idée pour une chanson suite à une conversation que l’on avait eue avec Cyril, et il l’a mettait dans le film alors qu’il ne me l’avait pas demandée à la base, ùême si des fois il me demandait chanson pour une séquence précise. La moitié des fois c’est quand même moi qui ai envoyé ça spontanément et ils ont monté dessus.

Est-ce que cette nouvelle manière de travailler va jouer sur l’écriture de votre prochain album ?
Je pensais que oui, mais là je travaille dessus et je me rends compte que je retourne dans mes vieilles habitudes. Du coup je me dis qu’il faut que je m’invente un film qui n’existe pas et que j’écrive une bande-son imaginaire. Parce que finalement, avoir un réalisateur en face qui me dit qu’il lui faut un truc dans 3 jours, ça rythme énormément le travail. J’ai toujours travaillé toute seule, mais d’un côté ça m’énerve parce que quand je me prends moins la tête, c’est aussi bien en fait.

L’aspect instrumental, c’est quelque chose que l’on va retrouver sur vos prochains albums ?
Oui, c’est possible. J’aime beaucoup ça, que ce soit sous forme d’intro ou d’interlude, je trouve que ça rend les albums moins indigestes.

Je vous ai vu sur scène en mars 2013 et je me souviens de plusieurs parties instrumentales durant le live.
Oui, ça c’est quelque chose que j’ai gardé de la période où je faisais du jazz, car je trouve que ça fait du bien durant un concert, ça permet de respirer un peu.

Vous avez commencé à travailler sur votre prochain album solo pendant l’écriture du score ?
Je me suis rendu compte que je n’arrivais pas à faire 2 choses en même temps, donc non. Et puis je ne pensais pas qu’il y aurait autant de thèmes au début, d’ailleurs je lui ai posé la question, mais il m’a dit que puisque le film était un voyage, c’était mieux de ne pas avoir de thème, ce que je trouve finalement très bien. Quand ça concerne mon projet solo, il faut que je sois dans une bulle, enfermée, d’ailleurs je pars souvent en Suède pour écrire. J’ai toujours été un peu envieuse de ces artistes qui arrivent à composer dans le bus quand ils sont en tournée… Moi j’en suis incapable.

C’était une expérience enrichissante ?
J’ai eu besoin de faire une pause pour faire autre chose après mon dernier album. Ça m’a donc fait beaucoup de bien, parce que je ne sentais pas que j’avais de quoi m’asseoir et écrire un autre album solo.

Ce qui est intéressant dans ce score, c’est que l’on reconnaît vraiment votre pâte…
Bizarrement, même si ce n’est pas un album solo, quelque part c’est aussi plus moi musicalement, parce que c’est la première fois que je fais la réalisation moi-même. J’ai fait une grande partie du travail à la maison, on a aussi fait un peu de studios avec des musiciens, mais c’est la première fois que je travaille autant seule. C’était très intéressant car j’ai pu aller au bout de mes intentions. Après ça ne veut pas dire que je veux faire comme ça à chaque fois, même si je suis très contente du résultat. Je pense être plus prête que jamais à faire une rencontre musicale, bizarrement. Peut-être parce que je sais mieux ce que je suis capable de faire et sur quels points on peut m’apporter des choses. Je suis plus sûr de moi et de mon identité musicale, j’ai donc moins peur de laisser de la place à quelqu’un, car je suis prête à essayer de nouvelles choses, même si je saurais dire non quand ça ne va pas.

Votre plus gros tube a été utilisé pour une publicité, qu’en retenez-vous ?
Je n’ai pas de regret à avoir, car c’est effectivement le morceau qui a le plus marché et qui m’a permis d’être là où j’en suis aujourd’hui. Après ce n’est pas un morceau de moi, c’est une chanson que j’ai arrangée. C’est sûr que j’aurai préféré que ce soit une de mes compositions. Il m’est aussi arrivé de culpabiliser, surtout concernant le sujet de la publicité, encore plus depuis « Demain » dont le discours est à l’opposé, mais c’est justement ça qui est bien dans le film, car il n’est pas culpabilisant. Il s’agit plus de prendre conscience de l’impact que ça a, de réfléchir à deux fois avant de prendre la voiture (justement), de réfléchir à la façon dont on consomme, etc.  On est tellement pris dans des habitudes que ce n’est pas simple de se rendre compte de l’impact environnemental de ce que l’on fait, le film est plutôt encourageant sur ces points-là.

 

Réalisé par Cyril Dion et Mélanie Laurent, « Demain » est sorti dans les salles le 2 décembre 2015.