C’est lors de la promotion de son huitième album « Cali chante Léo Ferré », que j’ai eu le plaisir de rencontrer Cali.
Bonjour Cali, vous nous présentez aujourd’hui votre huitième album, « Cali chante Léo Ferré », qu’est ce que cela représente pour vous la sortie d’un nouvel album, il y a toujours un sentiment spécial ?
Oui, j’ai passé la soirée avec mon ami Christophe Miossec, son album sort aujourd’hui et il était dans une euphorie, une joie … Lui c’est son dixième, moi mon huitième ; et c’est marrant parce qu’on a toujours cette joie de dire qu’on était chez nous, qu’on a fait quelque chose, et que les gens vont le découvrir. Aujourd’hui c’est un peu triste car la musique se dématérialise complètement, alors qu’il y a des photographes sublimes, mais maintenant on jette les chansons et les gens les prennent par millions. Je me souviens, gamin, quand j’allais chercher les albums de U2, chez les disquaires, c’était toujours une fête. Je me mets à la place de la personne qui aime bien ce que je fais et c’est une fête partagée.
Il y a un sentiment de partage, et je trouve moi aussi que le sentiment d’avoir un album physique, avec un CD, c’est beaucoup plus important qu’avoir des téléchargements …
Oui, oui, ici surtout le travail avec le photographe et avec cette guenon, Tiby, ça rappelle Ferré, son singe, mais c’est un vrai travail. On a passé une journée merveilleuse à faire des photos parce que c’est tellement important tout ça, autant que la musique qu’il y a derrière.
Oui, justement je voulais que l’on discute de cette pochette, avec une guenon, comment se sont passés ce choix et cette séance de photos ?
On s’est demandé ce qu’on mettait sur une pochette de Cali qui chante Léo Ferré, alors est-ce qu’on met Cali ? Est-ce qu’on met Léo Ferré ? Est-ce qu’on met les deux ? Mais lui ce qu’il m’a dit c’est « moi je ne suis pas un physionome Ferré » mais ce qui lui ressemble c’est le rapport qu’il avait avec Pépée, comme une petite fille avec lui. C’est ça l’idée pour représenter Ferré c’est son singe en fait. C’est parti de là, et on a passé une journée merveilleuse avec une guenon habituée aux studios photos parce qu’elle fait des tournages de films. Son dresseur était là, et moi j’ai passé une journée avec une petite soeur. On se tenait la main, on a partagé un sandwich le midi tous les deux, elle me cherchait les poux, on s’est fait des câlins à la fin de la journée. C’est étonnant, parce que c’est un être humain, c’est fou…
Pourquoi un album de reprises ? Et pourquoi Léo Ferré ?
Cela s’est imposé depuis tout petit. Mon papa écoutait Léo Ferré, et je ne comprenais pas pourquoi je voyais mon papa admiratif. Il ne pleurait pas papa, et là, je le voyais les larmes aux yeux, écouter quelqu’un qui scandait des mots que je ne comprenais pas. J’ai passé mon enfance à entendre Léo Ferré ; et puis, mon grand frère m’a fait découvrir une chanson qui s’appelle « Richard » et ça a été l’ouverture : j’ai tout compris, j’ai vu les images. A partir de là je me suis rendu compte que Ferré c’est le plus grand. Nous sommes les contemporains de Ferré, comme des gens sont les contemporains de Beethoven. C’est le monstre. Puis après les gens qui m’ont donné envie de faire de la musique, des Lavilliers, Thiéfaine, Bashung, viennent de Ferré et s’en revendiquent. J’avais ça au fond de moi et c’est arrivé au moment (il y a deux ans), où Ferré aurait eu 100 ans, mais on n’a rien fait en France pour son anniversaire. Aujourd’hui on fait Barbara, Brel, mais Ferré, on n’en a pas parlé sauf dans une émission de France Inter. La Belgique, l’Espagne et l’Italie l’ont célébré et j’en ai parlé avec la famille de Léo, sa femme, son fils, une de ses filles, et ils étaient assez tristes parce qu’on n’a pas fêté leur papa. C’est là que j’ai pris la décision.
C’est un artiste phare de votre génération et même plutôt de la précédente, et là vous le présentez avec de nouveaux arrangements plus modernes et électro, est-ce pour toucher un nouveau public qui ne le connait pas forcément bien, ou plutôt pour raviver un souvenir d’un public plus ancien ?
J’ai fantasmé l’idée que si Ferré était vivant, il pourrait croiser le fer avec Dr Dre ou Eminem. C’est certain. Il faut savoir que Ferré a touché à tout : il a fait des pianos bars dans des lieux enfumés, il a dirigé des orchestres à Milan, il a joué avec un groupe qui s’appelle ZOO et qui fait du rock progressif, il devait jouer avec Jimmy Hendrix. Il a toujours été dans la recherche, sans aucune limite. Je me suis dit que j’allais faire pareil. Et justement, j’aime bien la question parce que j’ai choisi pour faire l’album, un pianiste que j’adore, Steve Nieve (qui a joué entre autres avec Elvis Costello, David Bowie, Mick Jagger, Lou Reed) qui n’est pas dans la lignée Ferré. Et un jeune, François Poggio, qui joue avec Daho et Lou Doillon, mais qui ne connaissait pas Ferré. Ils ont emmené un son dans l’atelier qu’on a organisé au studio Pigalle (studio où Ferré à enregistré ses premiers 78 tours) et on s’est amusé. Je n’ai pas prémédité le fait que ça puisse être pour les jeunes, c’est eux qui ont apporté leur nouveauté musicale qui m’a permis de chanter différemment Ferré. Aussi, on a travaillé avec un mixeur/ingénieur du son qui a 25 ans, Félix Remy, il n’avait aucune référence à propos de Ferré, donc ce fut pour lui comme s’il travaillait sur un album actuel. C’est tout ça qui a contribué à l’élaboration de ce projet. Ce qui est pas mal dans ce que vous dites, c’est que maintenant les jeunes qui ne connaissent pas Ferré, si ils viennent chercher des chansons de Cali, j’espère qu’ils vont sortir de là avec l’envie de découvrir son oeuvre.
Pourquoi n’avoir choisi que des compositions écrites de la main de l’artiste ?
Je me suis retrouvé devant la montagne Ferré, plus de 1000 chansons : qu’est-ce que je vais reprendre ? J’ai donc tout d’abord décidé « que du Ferré ». c’est-à-dire qu’il a chanté des poètes, Aragon, Baudelaire, Rimbaud, mais moi je voulais que ça soit Ferré par Ferré. Son fils m’a remercié pour ça. J’avais déjà chanté « L’affiche rouge » d’Aragon par Ferré mais là je voulais que ça ne soit que cet homme là.
Le nombre de propositions a donc été réduit en parti à ce moment là, mais comment s’est passé le choix des 18 titres pour l’album ?
Ça a été terrible ! C’était des mois, à réfléchir. 5 jours d’enregistrements pour des mois de réflexion. (Rires). Pour moi la réflexion était terrible, alors j’ai dit « qu’est-ce que je vais faire pour être le plus honnête possible ? ». Il fallait faire le Ferré de Cali, donc j’ai pensé à mon Papa, à ce que j’entendais quand j’étais petit. Il y en a d’autres comme « Mon Enfance » que j’ai choisi, parce que je connaissais sa mélodie merveilleuse et ses mots incroyables, mais je ne connaissais pas la vie de Ferré. En la connaissant je me suis rendu compte que son enfance était terrible … Il a été abusé par des curés à 8 ans en pension. Pour lui l’enfance fut terrible; et cette chanson je l’ai redécouverte en ayant conscience de cela. Il dit de l’enfance : « Souviens-toi des silences au fond des corridors. Et ce halètement divin, je l’entends encore ». Cela dit tout. j’ai voulu amener un témoignage. Quant à « Paris, je ne t’aime plus », je trouve qu’elle raisonne d’une vérité incroyable. Si on change deux ou trois noms propres de cette chanson, on en arrive à une très actuelle. « Ils ont voté », pourquoi ? Et puis après ? Moi je vais voter, lui il fait de nouveaux débats. Mais aujourd’hui les jeunes quand je leur demande pourquoi ils vont voter, ils me répondent qu’ils ne vont pas voter parce qu’il n’y a que des voleurs. « Vingt ans » parce que mon fils a vingt ans. Je lui ai mis la chanson à tue-tête dans la maison et elle lui a parlé, parce qu’elle signifie qu’à cet âge, on peut tout croquer, prendre son baluchon et s’en aller. Tout cela était important pour moi, j’ai fait ce choix dans ce sens.
Vous avez travaillé avec la famille de Léo Ferré lors de l’enregistrement et la préparation de cet album est-ce pour vous une sorte d’hommage à Léo que vous interprétez ici ? Et ont-il pris part au choix ?
J’étais ravi qu’ils soient heureux que ce soit moi qui le fasse, et je leur ai demandé ce qu’ils aimeraient que je reprenne. Ils m’ont répondu qu’ils me faisaient confiance, que je pouvais faire ce que je voulais. Mais sa femme m’a dit qu’il y avait un poème pour elle, « Lorsque tu me liras ». Cette chanson n’est pas sur le disque, mais nous l’avons enregistrée et nous la donnerons d’une manière ou d’une autre. Je me suis retrouvé à lire ce poème où à la fin Léo dit à sa femme, « je t’aime, Christie, je t’aime ». Marie-Christine était là, juste en face de moi en studio et on avait tous les deux les larmes aux yeux. C’était fou… Ce qui les a troublés c’est que j’ai cassé tous les arrangements, je suis parti sur des choses neuves et ils m’ont dit avoir redécouvert les chansons de leur père.
Il devait y avoir énormément d’émotions lors de vos rencontres, surtout avec ce manque de reconnaissance dont vous nous parliez, ça arrivait, enfin ….
Oui, c’est cela, c’était fou. Et d’un autre côté il y a les intégristes de Léo Ferré qui me disent que je n’ai pas le droit de le reprendre. Mais bon il y en a aussi pour Brassens, Brel j’imagine. Moi je m’en fiche. Mais c’était très émouvant et Mathieu m’a fait ce cadeau magnifique de poser sa voix. Je lui ai dit « tu es là en studio, moi je suis là, ton papa est au milieu … il faut que tu chantes, que tu fasses quelque chose sur le disque ». Il m’a répondu non, qu’il faisait de la bière et du vin en Italie, et qu’il n’était pas chanteur. Mais ma réflexion l’a travaillée toute la nuit, et le lendemain en studio il est arrivé avant les autres, a demandé à l’ingénieur du son d’allumer le magnétophone, et il a lu un poème très confidentiel de Léo, « L’amour est dans l’escalier ». Ce poème clôt l’album, nous l’avons mis en musique et j’ai pleuré car c’est un véritable cadeau qu’il me faisait là. Il y a eu des moments forts aussi avec la chanson « Vingt ans » car je l’ai chanté le jour où l’on a enterré Jacques Higelin. J’ai été à son enterrement au Cirque d’Hiver, on a pleuré et on y a ri, car c’était fou. J’ai titubé dans les rues de Paris après, pour venir au studio et chanter cette chanson. Quand je l’écoute je sais exactement dans quel état j’étais, bouleversé. Cet album, c’est ça, des moments précis, comme si les planètes étaient alignées comme il fallait.
Nous avons pu déjà découvrir le premier extrait de l’album « C’est Extra », pourquoi avoir choisi ce titre phare ?
Je vais donner « Thank you Satan » sur Facebook ce soir. Mais « C’est Extra » en début, c’est parce que c’était la chanson que je chantais quand je faisais des bals de village dans mon Sud, chez moi en Catalogne. Je faisais des bals et Léo Ferré, on le chantait non pas en début de soirée pour les personnes âgées, mais en fin de soirée, entre les Clash et les Sex Pistols. On chantait « C’est Extra », les gens avaient les larmes aux yeux, ils voyaient l’éternité, ils étaient ivres, ils dansaient. Pour moi c’était le début de quelque chose.
Vous entamez une tournée dès octobre, pouvez-vous nous en dire un petit plus sur ce qu’on y retrouvera (uniquement Ferré ou aussi de vos chansons) ?
Le jeudi 4, à Nantes ! Ça ne sera que Ferré. Je reste sur Ferré jusqu’à la fin, en décembre, je vis avec lui. Les gens qui me connaissent sur scène, un petit peu exubérant, à faire des conneries, vont me voir très gentil et très sobre derrière les chansons. J’ai la chance de jouer avec le guitariste de Dionysos, Eric, et un jeune qui s’appelle Augustin Charnet, il joue dans Kid Wise, et ne connaissait pas Ferré. Is sont vierges de Ferré, ils m’emmènent leur jeunesse. Ce qui me plait c’est de me dire qu’un gamin de 23 ans chante, joue quelqu’un qui aurait 102 ans aujourd’hui. Ça me touche. On passe dans des lieux que Ferré adorait : le théâtre Toursky à Marseille, le théâtre 140 à Bruxelles, et à Paris le théâtre Dejazet.
Au final, tout est hommages, symboles …
Tout, tout, j’essaye d’être raccord avec ça. C’est très troublant. J’avais vingt ans lorsque j’avais une place pour aller voir Ferré au théâtre Dejazet. Je suis monté à Paris, je n’y étais jamais allé, et j’ai tout fait à Paris; sauf aller voir Ferré. J’ai raté le concert, je me suis dit que j’irai la prochaine fois; mais il n’y a pas eu de prochaine fois. L’émotion, c’est que je vais chanter sur la scène où je devais aller le voir…