Sofiane nous embarque dans son monde avec La Direction

Sofiane La Direction 2021

Un album coup-de-poing. Obligé de frapper plus fort, plus haut que ses prédécesseurs. Sinon pourquoi revenir ? De toute façon, pour Sofiane, rappeur français établit et influent de 35 ans, il n’y a pas de retour, il a toujours été là. Quelques titres par ci par là, qui ont suffit à le maintenir dans les esprits sans avoir à sortir d’album. Pour le reste, Sofiane construit, empilant brique sur brique, érigeant le mur qui le mène toujours plus haut. Cela en s’improvisant producteur, homme d’affaire, ou acteur, comédien. D’où le nom de La Direction, c’est ainsi qu’on l’appelle dans son entourage, « la direction », ou « la Didi ». L’album est disponible partout depuis le 21 mai 2021.

Avec tout ce qui est sorti cette année, c’était parfois difficile de suivre et de discerner le bon du mauvais. À croire que tous les plus gros acteurs du rap français ont sorti un projet. SCH, Booba, Mister You, Sifax, Damso, Karis, Sadek, Heuss l’Enfoiré puis Vald, les deux sur un album commun, et tant d’autres encore … Lorsque le son fuse, les oreilles sifflent et le cerveau bouillonne, on ne sait plus où donner de la tête. Ce qui rend cet album d’autant plus méritant. On n’est pas sans savoir que Sofiane est un compétiteur, quelqu’un de déterminé, qui a toujours soif de matière, de succès, d’argent et de qualité et de savoir. Il est futé, rusé, passionné, comme si on n’avait pas compris il nous le martèle une nouvelle fois avec cet opus. Bam !

Je trouve cet album exceptionnel. Il fait partie des meilleurs de l’année sans l’ombre d’une hésitation. Des textes exigeants, une diction imparable, une justesse époustouflante, une cohérence apparente, des références nouvelles et pertinentes – si je peux me permettre – mais surtout en accord avec leur temps. Un flow agressif qui s’écoute sans qu’on s’en lasse. Tout est calculé, calibré, chaque rime claque sur la suivante. Mais la chose qui m’a le plus impressionnée, le plus étonnée, c’est le côté très, très mélodique de La Direction. Les instrus sont à des kilomètres de ce qu’on a l’habitude d’entendre en rap français. Certains titres font presque pop. C’est une aventure. Chaque morceau nous emmène là où l’on n’aurait jamais pensé aller avec Sofiane. Aucune ne se ressemble. Une surprise en cache une autre. Autant le kickage est assumé et poussé au possible, autant Sofiane finit par chantonner, ou entonner un refrain, une mélodie qui donne une tout autre dimension aux morceaux et à l’album. Il nous sert même un titre complètement chanté : Case Départ (clip ci-dessous), qui fait un très bel effet. Il a voulu faire un album rap, il nous offre un album rap, mais renouvelé, moderne, qui prétend à bien plus que ce qu’il devait au départ. Artistiquement il se balade. Comme diraient nos amis marseillais de 13’Organisé.

La pochette de l’album a tout de suite retenu mon attention. Pour le coup, c’est original. Sobre, presque raffiné, et simple. L’idée était de faire quelque chose entre pub pour parfum et campagne présidentielle. Le top ! Presque le rooftop, si on continue dans les références marseillaises, le S cette fois ci (le rappeur SCH), qui est d’ailleurs aussi présent sur l’album de Sofiane, sur le titre American Airlines. Sauf que c’est le seul qui ne me plait pas. Bref, le top, le bureau le plus haut du bâtiment, la direction, d’où le nom du projet, qui s’inspire énormément, de sa vie de business man, puisqu’il est désormais directeur de label et producteur, entre autres taches à responsabilités.

Sur Sur un bout de papier, Sifax me surprend. Je trouve son style et son flow simples, et efficaces, banals aussi, mais je ne peux pas m’empêcher de me dire qu’il fait sensation, que sur ce morceau en tout cas, il fait tout à fait ses preuves.

Pour moi, La Direction est un renouveau du rap, un coup de fraicheur, qu’on a eu sans le demander. Sofiane a su viser juste, simplement en se tenant à ce qu’il fait par plaisir, ce qu’il aime faire et pas ce qu’il doit faire, ou ce qu’il convient de faire, comme il l’explique dans plusieurs entretiens. C’est une réussite.

Dans ses textes, pour cet album, il parle beaucoup de business. Normal, ce monde-là est devenu un de ses habitats naturels. La France est très présente aussi, multiples références à l’Histoire, et au paysage culturel : des châteaux, Marina Foïs, Roshdy Zem, Napoléon, Zidane, et la liste continue.

Lors d’une interview, Sofiane dit « il y a plein de personnes diamétralement opposées dans ma tête, mais c’est moi le chef ». A mes yeux, cette phrase résume l’album à merveille. Un tas de personnalités diverses font La Direction, mais c’est toujours Sofiane qu’on retrouve, à un moment ou à un autre. Il joue avec les facettes de sa personnalité, sans s’y perdre. Et c’est très appréciable. Il ne se cantonne pas à faire du rap, il nous propose un concept, un projet complet, bien que ça soit probablement inconscient, puisqu’il n’en parle pas dans ses interviews, un concept, une structure qui le laisse libre de s’exprimer comme il le souhaite et de faire l’album qui lui ressemble sans retomber dans un format ou un schéma de pensée qui rappellerait Bandit Saleté, #jesuispasséchezso ou Affranchis, ses sorties et succès (immenses) précédents.