Les bonnes ondes de Radio Elvis

Le 9 novembre prochain, le groupe de rock français Radio Elvis sortira son second album Ces Garçons-Là. Après un premier opus inspiré de voyages, Colin Russeil, Pierre Guénard et Manu Ralambo dévoilent un album autobiographique. Ils le présenteront sur scène le 15 novembre à la Maroquinerie.

En octobre, alors que Radio Elvis est en pleine période promotionnelle je les rencontre dans un showroom du 10ème arrondissement de Paris. Seuls Pierre et Manu sont là, Colin ayant dû s’absenter. La rencontre se déroule dans une pièce typée vintage investie par des guitares où Manu gratte l’une d’entre elles. On me prévient : Ils sont tout le temps en train de jouer !

Cet entretien sera l’occasion de discuter entre autres choses du nouvel album, de leurs inspirations et de l’engagement en musique.

 

Radio Elvis

 

Ces Garçons-là est sur le point de sortir. C’est le deuxième album de Radio Elvis. Le premier, Les Conquêtes, avait été élu Album Révélation aux Victoires de la musique en 2017. Cela a-t-il influé sur votre préparation et votre travail ?

Pierre : On ne voulait pas se mettre la pression. On ne s’est pas demandé « Où est-ce qu’on nous attend ? », « Où est-ce qu’on veut aller ? » On a juste essayé de faire le tri entre ce qu’on avait aimé et ce qu’on avait moins aimé, dans le disque ou durant la tournée.

On a ressenti le besoin d’un album plus débridé, qui nous fasse renouer avec une certaine urgence, avec une spontanéité. Ça n’est pas forcément évident après 150 dates… Pour y parvenir, on a changé d’entourage professionnel et d’instruments. Nous n’avons pas pris nos instruments de prédilection. L’objectif était de se surprendre, comme dans un couple. On ne voulait pas refaire la même chose. On voulait grandir, changer de peau. Ce qui est génial, quand on est artiste, c’est qu’on peut changer d’apparence, se réinventer. D’ailleurs, on se doit de le faire.

Quand tu dis qu’il y a des choses que vous avez moins aimées, à quoi penses-tu ?

Pierre : En fait, je ne dirais pas que ce sont des choses qu’on a moins aimées mais je parlerais plutôt de choses qui nous ont manquées. Comme le fait d’avoir des morceaux plus débridés. Ceux du premier album étaient simples à jouer. Ils demandaient peu de réflexion, peu d’effort physique, pas vraiment de virtuosité… Cette fois-ci, on a cherché à atteindre l’émotion. Sur l’album, vous trouverez des morceaux riches avec des grilles d’accords très complexes sans pour autant être alambiqués. C’est ainsi qu’on a essayé de se rapprocher de la musique qu’on écoute, Neil Young par exemple, avec ce type d’accords sur lesquels on peut poser une émotion et une énergie.

Dans le groupe, qui compose ?

Pierre et Manu : Les trois !

Quand vous composez, vous pensez tout de suite à ce que ça va donner sur scène ?

Pierre : On y pense rapidement.

Manu : On a ça en tête. C’est très présent. Notamment avec la chanson Prières Perdues. On l’a enregistrée d’une traite, sans s’arrêter, sans recommencer, en pensant qu’il fallait que ce soit comme sur scène, aussi débridé, avec autant d’énergie, presque punk.

Pierre : Pour parvenir à ce résultat, on a fait appel à un quatrième musicien, le pianiste Nicolas Subréchicot. On a tout composé à trois. Mais en studio, pour l’exécution de certains titres qu’on avait envie de jouer en live, comme Prières Perdues, on avait besoin d’être quatre. Je faisais le piano sur la maquette. Mais n’étant pas pianiste, je ne pouvais pas être dans la vraie énergie. Voilà pourquoi nous avons contacté Nicolas. Cela m’amène à dire que nous serons quatre sur la tournée. Pour pouvoir être plus débridés. Pour s’alléger aussi. Car à trois sur scène, chacun faisait beaucoup de choses. Je faisais la guitare et le chant. Colin faisait le clavier et la batterie. Manu faisait la guitare et la basse. Ce système nous a vachement plu car il nous permettait d’avoir une esthétique plus resserrée. Mais on en a atteint les limites. Pour passer un cap, pour atteindre une puissance sonore et de jeu supérieur, on clarifie les rôles. Moi, je vais moins jouer de la guitare, Manu jouera principalement de la guitare et Colin de la batterie.

Cette formation à quatre, êtes-vous certains que ça fonctionnera ? Aurez-vous besoin de musiciens supplémentaires ?

Pierre : Non. Là, on est quasi sûrs que ça marche. D’ailleurs, on a déjà commencé. Les morceaux ont été composés en tenant compte du fait que nous serions quatre sur scène. Peut-être qu’un jour on sera cinq, six… On ne s’interdit rien. Là, on sera quatre. Ça nous libérera de plusieurs contraintes matérielles ou de jeu.

Manu, tu évoquais à l’instant Prières Perdues et son rendu sur scène. Lors de la deuxième tournée, vous allez devoir faire un choix de chansons sur la base des deux albums. Savez-vous ce que vous allez éliminer ?

Manu : On va déjà privilégier le deuxième album.

Pierre : Je pense qu’on va essayer de tout jouer du deuxième, non ?

Manu : Il y a des morceaux plus anciens qui nous tiennent à coeur, je pense à Goliath…

Pierre : Ce qui nous excite, c’est d’avoir le luxe de choisir ce qu’on fait en fonction de la date. Si on a envie d’un set plus calme, il n’y a qu’à piocher certaines chansons plus calmes dans le premier album. Et vice-versa si on a envie d’un set très rock : on mettra alors tous les morceaux hyper rock du premier disque.

Pour en revenir à Prières Perdues, quand on l’écoute, on a l’impression qu’il s’en dégage un sentiment d’urgence. Ça tient à la répétition de certains mots, au rythme qui s’accélère… Cette chanson, c’est toi, Pierre, qui l’as écrite. Est-ce qu’en composant, tu ressentais cette urgence ?

Pierre : Ce serait mentir que de dire que j’avais ce sentiment d’urgence… Cette chanson, je l’ai écrite très spontanément, en plusieurs étapes. Je l’ai composée au piano avec la volonté d’aboutir à un morceau blues rock à l’ancienne, avec une grille assez simple qui évolue et qui accélère comme on pouvait le faire dans les années 70. Je ne voulais pas qu’il y ait trop de paroles mais je voulais que leur sens soit très fort. Que l’on comprenne tout avec trois ou quatre phrases qui soient répétées.

Manu, une fois sur scène, comment fait-on pour s’approprier une chanson écrite par un autre ? Pierre, en l’occurrence…

Manu : Je suis toujours d’accord avec Pierre. En revanche, quand il faut réarranger les chansons du disque, ça peut tourner au casse-tête ! C’est un petit challenge très intéressant à faire. Sur scène ou sur le disque, les chansons ont une saveur différente.

Est-il déjà arrivé que et Colin toi vous refusiez des textes écrits par Pierre ?

Manu : Non. Je me l’interdis. Et je pense que Colin se l’interdit aussi. Nous ne sommes jamais intervenus car le texte est toujours très bien !

Pierre : Il y a quand même une chanson qu’on n’a pas gardée car le texte vous semblait un peu plus faible que les autres. D’ailleurs, il l’était. Et la musique aussi. Sinon, une fois, Colin m’a parlé de quelques mots qui le gênaient un peu. Mais il me l’a simplement dit et on en a discuté.

Pierre, dans le texte de Ces Garçons-là tu dis :
« Les filles avaient un goût amer
J’en avais peur jusqu’à vomir
Ces garçons-là savaient y faire
Moi je n’avais pas mon mot à dire. »

Il s’agit de ta propre expérience ?

Pierre : Oui, c’est un mélange de plein de choses. En fait, l’album est très autobiographique mais il contient une part de romance, de fiction. Personne n’a la vérité des événements : on a tous une manière différente de vivre les choses et ma vérité n’est pas celle des personnes qui l’ont vécue avec moi. Donc il faut que ma part d’expérience soit romancée pour que ce soit intéressant… La vie en elle-même n’est pas très intéressante si on ne la romance pas un peu, si on n’amplifie pas les enjeux d’une action, le début et la fin. En vérité, je romance tout le temps ma vie dans ma tête. Je crois que c’est pour ça que j’écris…

C’est un besoin ?

Pierre : Oui, c’est un besoin. Sinon je pense que je m’ennuierais. Et puis j’ai un tempérament un peu drama-queen. Donc, les événements sont tristes sans en faire des caisses non plus ou vivre de manière très exagérée. Je ne le fais pas exprès. Tout est très dramatique.

Et toi Manu, te retrouves-tu dans ce que Pierre écrit ?

Manu : En l’occurrence, dans Ces garçons-là, oui.

Pierre :  Au début, j’étais un peu timide de chanter ça devant vous, c’était un peu gênant. La première fois je ne me sentais pas bien…

Manu : Effectivement, c’est venu au bout de la deuxième ou troisième version… On en a parlé ensemble… Et c’est là qu’on s’est dit qu’en fait, on a tous vécu ça. Ces événements d’adolescents un peu stupides où on se tire la bourre. Et puis d’une manière générale, j’aime les textes de Pierre.

Pierre : C’est une chance !

Manu : Effectivement, c’est une chance ! Ainsi, on n’a pas à intervenir. En tout cas, je n’ai jamais ressenti le besoin de le faire.

Pierre : En fait, nous sommes vachement plus interventionnistes sur la musique. Il y a une différence entre le texte et la musique. Sur la musique, c’est vrai, on se permet davantage de dire : « Non, moi j’aime pas quand tu fais ça ! » Parfois, sur la guitare, vous me dites : « Non je préfère quand tu joues comme ça. » Sur un texte, c’est compliqué parce que ça touche à l’intime.

C’est beaucoup plus personnel…

Pierre : En fait, la musique, ça l’est aussi, mais pas de la même manière. On pourrait dire qu’une note est une note et que si elle est là, c’est qu’elle a besoin d’être là. Mais les mots c’est quand même différent…

Tu peux difficilement contester ce que quelqu’un ressent…

Pierre : Voilà. Et puis des arrangements sur une chanson, il peut y avoir des milliers ! Un texte, c’est dit d’une manière et une fois qu’on s’y est habitué, c’est compliqué d’en changer.

Dans le premier album, vous parliez beaucoup de l’influence de Noirs Désirs. Et dans le deuxième ? Talking Heads ?

Pierre : Talking Heads, c’est assez récent. En tout cas de s’en revendiquer. Mais je ne me revendique pas de toute la carrière de Talking Heads, je me revendique surtout de Stop Making Sense.

Il n’y a pas de duo dans vos deux albums. Y a-t-il quelqu’un, vivant ou pas, avec qui vous auriez rêvé de le faire ?

Pierre : Nick Cave.

Manu : Oui..

Pierre : Un duo avec Nick Cave. Et avec Warren Ellis, son violoniste. Pendant longtemps, on a envisagé de faire réaliser l’album par Warren Ellis.

Et vous ne vous êtes jamais lancés ?

Pierre : Non car ce n’est pas une direction qu’on voulait prendre. On n’a donc pas cherché à aller plus loin. On voulait plus un truc à la Talking Heads, justement. On a donc fait appel à Pierrick Devin. Plus je vieillis, moins j’ai envie de faire de duos. Je m’auto-satisfais de plus en plus !
Et toi, Manu ?

Manu : Il y a des rencontres qui seraient géniales à faire… Comme rencontrer les gens d’Arcade Fire…

Pierre : Oui, voilà. Sans faire de la musique. Juste les rencontrer, faire la fête avec eux. Au final, dans la musique française il y a quelqu’un que je rêvais de rencontrer : c’était Dominique A et c’est fait. On a chanté ensemble, j’ai adoré ça et ça me fait toujours rêver. On aura beau se rapprocher, j’aurais toujours de l’admiration pour lui. Et puis, j’ai fait une croix dessus, mais j’aurais rêvé de chanter avec Bertrand Cantat. Mais maintenant…

Maintenant, tu ne sais pas si tu as encore envie ou tu ne sais pas trop comment ce serait accueilli ?

Pierre : Je ne sais pas si j’en ai envie. J’aurais vraiment voulu rencontrer Noirs Désirs…

Votre premier album était très inspiré des voyages. Le deuxième est autobiographique. Dans le rock, en ce moment, beaucoup de chanteurs et de groupes abordent des sujets de société. Les migrants, le climat ou autre… Ce genre de sujets vous inspire-t-il ? 

Pierre : C’est compliqué de parler de ces sujets-là… J’ai pas mal changé mon fusil d’épaule. Au début du groupe, j’étais contre la musique engagée, je détestais ça. On a souvent débattu dessus. Ce que je n’aimais pas, chez Noirs Désirs par exemple, c’était les chansons engagées. Je trouvais que c’était trop ancré dans l’instant, ça fait des chansons qui sont périssables. Comme la politique…

Tu préfères l’intemporel…

Pierre : Voilà. Et plus j’avance en âge, plus je prends conscience de certaines choses, plus j’ai envie de dire des choses. C’est pour ça que je me suis permis Prières Perdues, même si je ne considère pas que ce soit une chanson engagée ; ça parle des fous qui utilisent la religion.
Avec Prières Perdues, j’ai même hésité à évoquer le 13 novembre (13 novembre 2016, date de la série d’attentats qui ont touché le Bataclan, le Stade de France et les terrasses parisiennes, NDLR) car je ne veux pas de me servir d’un tel événement pour faire ma promotion. C’est un peu indécent. C’est compliqué de placer le curseur au bon endroit, dénoncer sans donner l’impression qu’on se sert de quelque chose pour être à la mode. Délicat…

Tu aurais l’impression de te « servir » de l’événement ?

Pierre : J’ai peur de ça. Si un jour nous sommes très exposés et que notre voix porte, j’aurais peut-être envie de me mouiller un peu plus. Je me vois mieux prendre position dans un clip plutôt que dans les paroles d’une chanson. Pour l’instant, j’aurais peur de mal le faire. Les sujets sont complexes et en deux minutes, on tombe vite dans le manichéisme… Quand on prend parti, on a tendance à simplifier les choses et une chanson, ce n’est pas assez long pour retranscrire fidèlement les termes d’un débat. Un clip, ça dure plus longtemps… Et puis quitte à s’engager, autant le faire dans la vie de tous les jours. Je n’aurais pas envie de me dédouaner en me disant : « C’est bon, j’ai fait une chanson, j’ai l’esprit tranquille. » C’est plus dur d’aller donner à manger dans la rue. J’ai beaucoup de respect pour les gens qui ouvrent des cuisines clandestines pour les migrants. Le courage et l’engagement sont vraiment là. Comment s’engager ? C’est une question que je me pose. Je commence faire quelques petits trucs…

Cela dit, je ne dénigre pas ceux qui, de ces sujets, font des chansons. Certains le font très bien. Dans dix ans, peut-être, me sentirai-je suffisamment concerné ? C’est d’ailleurs un peu ça, le drame : tant que ça ne nous touche pas personnellement, on a du mal à s’engager. On le voit bien avec l’écologie.

Sur la question d’aborder des sujets de société, tu disais que vous aviez débattu ensemble. Manu, tu n’es pas du même avis ?

Manu : À travers une chanson, on peut aborder n’importe quel thème. Sur l’écologie par exemple, il y a tellement de tenants et d’aboutissantsCe n’est pas avec trois strophes et deux refrains qu’on donne son avis. Ce n’est pas un débat, c’est juste une chanson slogan. De mon point de vue, c’est bien de dire qu’on pense à ces problèmes. Mais je ne pense pas qu’une chanson soit faite pour ça. Mieux vaut se retrouver dans des salons, des cafés ou des manifestations pour en parler.

Pierre : Vianney a fait une chanson sur l’écologie (Quand Je Serai Père, NDLR). Il y disait qu’on n’avait rien fait et qu’on aurait honte devant nos enfants. Artistiquement, je ne m’y retrouvais pas mais le fait qu’il le dise dans une chanson populaire m’a fait réfléchir. Je me suis dit qu’il n’y a pas de petit discours ou de petites phrases qui ne comptent pas. Tout compte dans l’engagement.

Manu : J’ai toujours en tête La Corrida de Cabrel. La chanson est super belle. Sur ce thème, il n’y pas beaucoup de débat.

Pierre : Je ne suis pas d’accord ! C’est plus complexe que ça. Pour ou contre la corrida ? Je suis incapable de donner un avis. Je tends plutôt à être contre.

Pourtant c’est ce qu’on voit dans le clip de Ces Garçons-là…

Pierre : C’est artistique. On ne cherche pas à ouvrir un débat politique avec ce clip. C’est le réalisateur qui a voulu illustrer la chanson en faisant référence à l’univers de la corrida, très codifié, visuellement fort. On cherchait un rite de passage. Quand j’ai rencontré les personnes du club taurin de Rion-des-Landes, j’ai découvert la difficulté de dire « oui » ou « non ». Le débat dépasse la simple question de la maltraitance des animaux. Si on n’a pas un avis tranché au début, c’est compliqué de s’en fait un.

D’une manière générale, c’est compliqué d’avoir un avis sur les choses, surtout sur les sujets complexes, comme les migrants. Le seul avis que j’aie, il est en faveur de l’instinct de survie… D’ailleurs, j’adore regarder les documentaires sur la Résistance française et il m’arrive de m’énerver parce qu’on ne peut pas glorifier un passé et ne pas s’en inspirer. On ne peut pas glorifier les résistants et les justes de la Seconde Guerre mondiale et, en même temps, ne rien faire aujourd’hui. C’est tellement contradictoire…

 

Découvrez ma chronique sur le clip de Ces Garçons-là dévoilé le 18 septembre en cliquant ici

23 Minutes, extrait de l’album Ces Garçons-Là :

Radio Elvis sera en tournée en France à partir de janvier 2019. Ils passeront au Trianon à Paris le 4 avril 2018.